Épisode 6

Où l’on constate que dans la vie, il y a peu de raccourcis.

(La licorne sonne à la porte de la résidence d’Elle et de Roxane.)

Moi — Les partenaires d’exercice de madame sont arrivés !

Elle — Oh ! Mais c’est la pupuce en susucre la plus cutie pie de l’univers !

Moi — Aaaawwwww, merci chérie.

Elle — Je parlais de Boris le pug, poussin grognon.

Boris le pug — Oua oua oua ! Sniff sniff ! Oua oua oua !

Moi — Évidemment. J’aurais dû me rappeler que je ne suis pas de calibre pour rivaliser en cuteness avec un petit chien.

Elle — Arrête donc. Tu es presque aussi mignonne qu’un bichon maltais.

Moi — (Soupire.) Tu es prête pour la promenade.

Elle — Ouuuiii !! Laisse-moi juste attraper ma bouteille d’eau !

Moi — On fait un petit trois mille pas ?

Elle — Disons deux mille et on voit s’il me reste encore du jus ?

Boris le pug — Oua oua oua ! Sniff sniff ! Oua oua oua !

Moi — Boris approuve, même si je sais qu’il va se fatiguer vite, le pauvre petit vieux.

Elle — Il n’a que sept ans !

Moi — Regarde, il a déjà des poils blancs dans sa barbiche.

Elle — (Fronce les sourcils.) Tu as la moitié de la tête grise et je ne te traite pas de petite vieille.

Moi — Alléluia pour la teinture, darling. On passe d’abord par le parc ?

Elle — (Chante.) J’irai où tu iras ♪ ouuu ouuu ouuu ouuuu ♫ et tu me passeras l’doiiiiigt ♪ ouuu ouuu ouuu ouuuu ♫

Moi — (Rigolant.) Allez Céline, on part !

(Les deux amoureuses traversent le parc, passent devant l’école et prennent la rue du dépanneur.)

Elle —J’ai eu une grosse nouvelle, ma belette en chocolat.

Moi — Ah ?

Elle — Après plus de deux ans d’attente, Il m’ont enfin appelée pour ma réunion de groupe pour ma chirurgie bariatrique. Et j’ai aussi la date où je vais me faire raccourcir l’estomac, en mars.

Moi — (Excitée.) Quoi? Mais c’est extraordinaire ! Pourquoi tu ne me l’as pas dit avant ?!?

Elle — Je sais pas…

Moi — Ça t’angoisse ?

Elle — Non, je suis plus décidée que jamais. J’ai juste… un peu honte que le gens apprennent que je vais avoir recours à la chirurgie pour perdre du poids.

Moi — Pourquoi ? C’est ton corps, tu peux faire ce que tu veux avec…

Elle — Tu te souviens comment poussin nigaud a réagi à ma décision quand je le lui ai annoncé ?

Moi — Il avait été content pour toi, non ?

Elle — Après quelque temps, oui, mais sur le coup, il m’a dit: «Voyons chérie, tu es belle comme tu es, pourquoi tu irais te faire charcuter, le jeu n’en vaut pas la chandelle, pourquoi vouloir correspondre aux canons de beauté nord-américains » et d’autres trucs dans le genre.

Moi — Il voulait bien faire.

Elle — Je le sais que je suis belle comme je suis, c’est pas ça le problème. C’est l’historique de maladies cardiaques dans ma famille qui m’inquiète. Mon médecin me l’a dit: avec la surcharge pondérale que j’ai, les risques que ça m’arrive sont élevés. Sans compter que je suis prédiabétique.

Moi — Je crois que ce qu’il voulait dire, c’est : « Je t’aimerai toujours, quelque soit le poids que tu as et je t’appuie dans ta décision ».

Elle — Ça aurait été mieux s’il l’avait exprimé en ces termes. Même Roxane me l’a dit plus clairement – et elle n’est pas la championne de la communication.

Moi — Ah ça…

Elle — C’est quand même plus sympathique que ce que Bianca m’a dit.

Moi — Et qu’est-ce qu’elle t’a dit ?

Elle — Avec sa voix douce et son air de biche habituel, elle m’a dit que la chirurgie est la voie de la facilité et que de toute façon, toutes les personnes qui l’ont subie regagnent du poids. Elle a ajouté que pour atteindre un «poids santé », il n’y a qu’une seule façon de le faire: avoir la volonté de manger moins et de faire de l’exercice. Elle m’a donc dit que j’étais faible et sans volonté.

Moi — Ben voyons donc! C’est un lieu commun grossophobe éculé ! Et puis, la chirurgie bariatrique, c’est un vrai parcours du combattant… ça demande de la volonté, non ! du courage !

Elle — Ouais. Poussin nigaud ne le sait pas – ni elle, d’ailleurs, parce que j’ai attendu d’être seule –, mais cette fois-là, j’ai pleuré ma vie. Pas parce que c’était la première fois qu’on me faisait une telle remarque, on me l’a dit mille fois depuis mon enfance. J’ai pleuré parce que ça venait d’une métamour, une personne qui en théorie me doit un minimum de respect.

Moi — Pauvre chérie. Je n’étais même pas là pour te consoler.

Elle — S’il fallait que tu sois toujours là pour me consoler chaque fois que j’ai le moindre élan de tristesse, ça deviendrait un job à temps plein, mon trésor en sucre.

Moi — Ouf. Ça ne me met pas dans de très bonnes dispositions pour rencontrer Bianca ce dimanche.

Elle — Il ne faut pas, ma sauterelle au miel. Tout le monde peut avoir des préjugés grossophobes, c’est si courant. C’est probablement la seulement forme de haine encore socialement acceptable dans notre société. Peut-être avec l’islamophobie…

Moi — Mais de là à verbaliser sa grossophobie devant l’amoureuse de son chum…

Elle — En ce qui me concerne, je me suis dit que ce n’était que de l’ignorance de sa part et que nous finirons bien par faire son éducation à ce sujet.

Moi — Ça reste assez peu délicat. Elle aurait dû se garder une petite gêne, comme on dit au Liechtenstein.

Elle — Ne pars pas la rencontrer avec des idées préconçues, ma licorne en sucre d’orge. Je t’assure, c’est une personne charmante.

Moi — On verra bien. On rebrousse chemin ?

Elle — Oui ! On peut passer par le sentier de piétons ?

Moi — D’accord. Ça va te raccourcir, par contre.

Elle — C’est le thème de ma vie, en ce moment : me faire raccourcir !

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