Épisode 7

Où il est question de triolisme, de diagrammes de Venn et d’amitiés passionnées.

(Un dimanche bourgeois au chic café Moca Loca.)

Moi — C’est drôlement tranquille ici cet après-midi.

Pierre —Peut-être que nos bons concitoyens n’ont pas voulu affronter la pluie. Il pleut des cordes.

Troy — Ha ! C’est une drôle d’expression. La pluie n’a pas l’air de cordes.

Moi —C’est pas mieux que « It’s raining cats and dogs », darling.

Troy — Ça fait vingt ans que j’appends le français et je ne suis toujours pas idiomatic.

Pierre —(Embrassant Troy sur la joue.) Tu es loin d’être idiot, ma tique.

Moi —Ça me rassure tellement de constater que je n’ai pas le monopole des jeux de mots atroces dans notre polycule.

Troy — Oh, he’s the king of dad jokes, and he’s not about to lose his crown !

Moi —(Après avoir pris une gorgée de son chai latte.) Alors ? Qu’est-ce qui se passe dans votre vie, les tourtereaux? Je ne vous ai pas vus depuis le déménagement…

Troy —La vie a été un long fleuve tranquille. Pierre s’est senti tout de suite à l’aise chez moi.

Pierre — Tu m’as donné une grande chambre juste pour y placer mes livre et mon bureau. Tu me laisses des mots d’amour dans mes lunchs. Et tu as accueilli mon chat à bras ouverts. Ce serait difficile de ne pas se sentir à l’aise.

Troy — Ton chat n’est pas le seul minet que tu as ramené à la maison !

Pierre — Ha ha ha ! C’est vrai que ce fut un véritable défilé dernièrement.

Moi —Dois-je comprendre que vous vous adonnez intensément au triolisme ?

Troy — C’est fou le nombre de dudes qu’il connaît et qu’il ramène à la maison, on croirait qu’il a couché avec le bottin téléphonique au grand complet. Le threesome est devenu mon principal hobby, par la force des choses.

Pierre —Marie-moi et tu pourras dire « it’s my hobby with my hubby » !

Troy —Let’s wait for your divorce to start thinking about that, honey.

Moi — Ça se passe comment, la séparation ?

Pierre — Nous n’avons pas eu d’enfants ensemble, alors il y a peu de raisons de se déchirer. J’ose espérer que ce sera fait avec respect et maturité.

Moi — On ne sait hélas jamais comment les choses peuvent tourner dans ce genre de situation.

Troy — Je te vois venir, toi… serais-tu en train de prendre des notes pour ton feuilleton ?

Moi — (Feint d’être outragée.) Moi ? Jamais, voyons !

Troy — (Rigole.) Ça ne serait pas la première fois, n’est-ce pas…

Pierre — Sur quoi travailles-tu en ce moment ?

Moi — Sur plein de trucs en même temps, comme d’habitude. Je continue d’écrire mon wiki-récit Hyphes, des articles pour L’idiot utile, des chroniques pour Lettres québécoises et À Babord, de la poésie érotique sur poesie.sale. J’ai terminé le manuscrit de La comtesse de Cadente, mon récit d’oulipisseuse faite de contraintes littéraires et de contraintes BDSM. Je l’ai envoyé cet été à mon éditeur et j’attends qu’il m’en donne des nouvelles.

Troy — Et tu n’as toujours pas eu de nouvelles ?

Moi — Nope. Ce n’est pas très inquiétant : si je me fie au processus d’édition de Sirventès, ça va prendre du temps, beaucoup de temps.

Pierre —Voilà pourquoi je me contente de publier mes petits poèmes sur Fetlife. Je les mets là et ensuite, je fais comme s’ils n’avaient jamais existé.

Moi — Tu pourrais nous en déclamer un, avant qu’il ne sombre dans le trou noir de l’oubli?

Troy — Lis-lui celui sur le dude qui refusait de t’embrasser ! C’est mon préféré !

Pierre — Comment te dire non, mon cœur. Voici donc mon Ode aux hommes qui refusent d’embrasser.

« Je n'embrasse pas », m’avait dit David 
Avec un air dédaigneux
Presque nauséeux
Quand j’ai approché
Ma bouche de ses lèvres

C'est ce qu'ils disent tous
« Je n'embrasse pas »
Pourtant, mes baisers sont suaves
On ne cesse de les complimenter

Et pourtant David
M’avait dit qu'il aimait mes lèvres
Avec son accent parisien

C'est ce qu'ils disent tous
Et je suis censé les croire
Comme je suis censé les croire
Quand ils disent
« Je ne suce pas »

Et pourtant David
A fini par m’embrasser
Avec son accent parisien

Lui qui aimait mes lèvres
Il m'a embrassé sur le sofa
Devant un mauvais film d'horreur
Avec une haleine qui sentait la bière

Ils finissent toujours par embrasser
Ils finissent toujours par sucer

Comme David qui s’est déshabillé
Dans la pâle lueur de son salon d’épouvante
Et qui a humecté mes lèvres et mon gland
Avec son accent parisien
Avec son haleine qui sentait la bière
Et mon doigt enfoncé dans son joli cul

Après que David m’eut embrassé et sucé
Nu dans la pâle lueur de son salon d’épouvante
J'ai découvert que son accent parisien était faux
Je l’ai entendu jouir en joual
Pendant que fourrais son joli cul
Sur le tapis qui sentait le moisi

Son accent parisien était faux
Comme son refus de m'embrasser

En se rhabillant
Dans la lueur de son salon d’épouvante
David m’a dit vouloir partir à Nicolet
Pour devenir policier comme son père

Il m’a avoué être un apprenti-flic
Tout juste après avoir été embrassé
Et baisé sur le tapis moisi
Comme dans un mauvais film d’horreur

Si ses baisers m’ont chaviré le cœur
Ses aveux me l’ont soulevé
Je l’ai rayé de mon carnet d’adresses
Même s’il embrassait et suçait divinement
Avec une langue empesée de bière
Et de faux accent parisien

Ô vous, hommes qui n’embrassez pas
Vous êtes si beaux quand vous cédez enfin
À la pulsion dévorante
De déposer sur des lèvres complaisantes
Un baiser, comme un désir refoulé

Ô vous, hommes qui n’embrassez pas
Sachez qu’en embrassant
Vous serez beaucoup mieux fourrés
Dans la lueur d’un salon d’épouvante
Sur un tapis qui sent le moisi

Mais de grâce, avant d’embrasser
Avec votre faux accent parisien
Et votre haleine de bière
Avertissez-moi que vous êtes
Un salopard de flic en devenir
Pour que nauséeux je n’aille pas
À rayer votre nom de mon carnet d’adresses

Moi — Ha ha ha ha ! Voilà une chute que je n’ai pas du tout vue vernir !

Pierre — Je savais que tu l’apprécierais.

Troy — Comme quoi il y a une intersection entre les hommes horny, les hommes amoureux et les hommes qui n’embrassent pas.

Pierre — En autant que les flics ne font pas partie du diagramme de Venn, moi ça me va.

Moi — Dans le mien, vous êtes tous deux dans l’ensemble « amitiés passionnelles ».

Pierre — (Tout attendri.) Awwwww !

Troy — (En m’embrassant sur la joue.) Darling, you make platonic love wonderful. You’re so cheesy, it’s endearing.

Moi — (Finissant sa tasse.) Imagine ce que ce serait si je n’étais pas intolérante au lactose…

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