Épisode 19

Où la licorne devient girl boss – et trouve ça malaisant.

(La licorne, qui porte encore ses vêtements de travail, décompresse dans le bureau du donjon en buvant une tasse de lady grey. Nicolas, le nouvel assistant, traite des factures à l’ordinateur.)

Moi — Nicolas… Tu veux que je te montre comment tenir le registre du donjon ?

Nicolas — Maîtresse, je vous rappelle que je préfère que notre relation soit plus formelle… et stricte. Appelez-moi larbin, je vous prie.

Moi — Je comprends, mais je n’arrive pas à m’habituer à cette idée de relation de soumission-domination 24/7… ça ne me vient pas naturellement, disons.

Nicolas — Faites-moi cette faveur et cet honneur, Maîtresse Atrabile.

Maîtresse Atrabile — D’accord, larbin. Viens que je t’apprenne à faire ton travail, misérable vermisseau !

larbin — Tout de suite, Maîtresse.

Maîtresse Atrabile — (En aparté.) C’est mieux comme ça ?

larbin — (Aussi en aparté.) C’est parfait. Où est ce registre et que dois-je faire ?

Maîtresse Atrabile — J’ai créé ce registre à la demande de Maîtresse SD, qui insiste pour qu’il soit scrupuleusement mis à jour. Je vais m’attendre à ce que tu sois d’une assiduité exemplaire, sinon gare à la correction que je t’infligerai !

larbin — Je tâcherai de vous satisfaire, Maîtresse.

Maîtresse Atrabile — J’y compte bien. Bon. (Prend la souris des mains de Nicolas.) Le registre n’est rien d’autre qu’un fichier Word que j’ai sauvegardé ici… le mot de passe est «zero-anguille-nyctalope».

larbin —Je vois.

Maîtresse Atrabile — Si en plus tu vois la nuit, tu es un nyctalope.

larbin — Excellente répartie, Maîtresse.

Maîtresse Atrabile — La flatterie ne te mènera nulle part, larbin.

larbin — Je vous demande pardon, Maîtresse. Que dois-je écrire dans le registre?

Maîtresse Atrabile — C’est en quelque sorte un journal de bord. Les détails de chaque séance y sont consignés : le nom du client, la durée de la séance, le matériel utilisé, les punitions appliquées. Maîtresse SD et moi allons ensuite te dicter une évaluation de la séance que tu devras ajouter au registre. Lorsque le client revient pour une nouvelle séance, il te faudra nous faire un résumé pour nous rafraîchir la mémoire.

larbin — (Faisant défiler à l’écran les multiples pages de registre.) Je constate que le format est très… littéraire. Chaque séance est décrite comme une histoire.

Maîtresse Atrabile — Ouain… c’est moi qui me suis laissée aller à mes penchants lyriques. Tu peux y aller plus brièvement, ça fera tout autant l’affaire.

larbin — Si je puis me permettre, Maîtresse, ce serait plus efficace de créer une base de données avec LibreOffice Base. Ça permettrait de faire le lien avec le système de comptabilité, de permettre un accès plus rapide aux données et d’exporter des rapports et des statistiques. Une fiche contenant toute l’information importante de chaque client pourrait ainsi être générée.

Maîtresse Atrabile — (Impressionnée par la suggestion de larbin.) Ahem… oui, probablement. Si tu crois que c’est possible de faire ça…

larbin — Je vais créer cette base de données et la soumettre à votre évaluation, si vous me l’ordonnez, Maîtresse.

Maîtresse Atrabile — Euh… ok, oui, d’accord… larbin, je t’ordonne de créer le trucmuche libre de base pour tenir notre registre. Et gare à toi si ça ne fonctionne pas !

larbin — (Visiblement ravi.) Ce sera fait selon vos désirs, Maîtresse.

(La licorne, songeuse, finit sa tasse de thé en regardant son assistant taper à toute vitesse sur le clavier de l’ordinateur.)

Moi — Nicolas… Tu sais que Marlène et moi, nous sommes en mesure de te payer un salaire. Ça me rend mal à l’aise de t’exploiter comme ça.

larbin — Pas Nicolas, Maîtresse. larbin.

Moi — Oui oui, désolée: larbin. Le salariat, c’est déjà à la base de l’exploitation capitaliste … là, je te fais travailler pour absolument rien. Ça va à l’encontre de toutes mes convictions les plus intimes.

larbin — Je ne mérite pas de salaire, Maîtresse. Je ne suis qu’un esclave dévoué à votre service.

Moi — (Soupire.) Ah la la… jamais je n’aurais cru un jour devenir une boss. Ça me rend mal à l’aise, tu peux pas savoir.

larbin — Que Maîtresse se rassure, j’ai déjà un job et un salaire. J’ai déjà des employés que je gère. Et j’ai aussi un patron que je déteste de toutes mes forces. Ici, je ne suis pas votre employé, mais votre esclave. Vous n’êtes pas ma patronne ou ma superviseuse, vous êtes ma Maîtresse – du moins, quand vous acceptez de l’être et que vous ne sortez pas de votre personnage. Vous satisfaire est ma seule ambition et ma seule récompense.

Maîtresse Atrabile — (Se ressaisissant.) Tu as bien raison, larbin. J’ai quand même un petit quelque chose pour toi, qui va peut-être me donner meilleure conscience et me donner l’impression que je ne suis pas à ranger définitivement dans le camp des ennemis de l’humanité. (Elle fouille dans son sac et en retire un collier d’esclave noir avec un anneau en métal.) Viens ici, vermine, que je te le mette.

larbin — (Rougissant.) Maîtresse… je… c’est trop d’honneur, je…

Maîtresse Atrabile — La ferme, larbin ! Tu mérites amplement cette humiliation. (En ajustant le collier autour de son cou.) C’est Simone, mon ex, qui les fabrique, c’est du fait-main, en cuir vegan parce que tu ne mérites pas qu’on ait tué un animal uniquement pour te remettre à ta place.

larbin — Merci. Merci Maîtresse.

Maîtresse Atrabile — (En restant dans le personnage.) Ne me remercie pas trop vite. Je trouve toutefois que tu as été très arrogant en me disant comment agir envers toi. Finis de t’occuper des annonces, puis vas t’installer cul nu sur le chevalet; tu mérites une sévère correction.

larbin — (Rougissant encore plus.) J’y vais tout de suite.

Moi — (À elle-même, tristement, après que Nicolas soit sorti du bureau.) Fuck les patrons. Le jour de la révolution, je vais aller moi-même me mettre en rang devant la guillotine.

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