Épisode 20

Où l’on en vient à la conclusion que Festivus, c’était mieux avant.

(Tout le polycule – moins Lou, Troy, Pierre, Maël, Bill, Marlène… bon, il manque quand même quelques personnes – s’est donné rendez-vous chez Blondine pour fêter Festivus, comme il le fait depuis des années.

Moi — (Embrassant Ousmane dans le cou.) Je suis si contente que tu passes le temps des fêtes avec nous !

Ousmane — Jamais je n’aurais manqué Festivus, mademoiselle.

Blondine — Encore un peu de pain de viande végane ?

Lui — Oui, mais c’est juste de la gourmandise.

Elle — Tu l’as vraiment bien réussi, ma pistache au miel !

Bianca — (Douce et angélique.) Je ne comprends pas pourquoi les végétariens s’acharnent à cuisiner de la fausse viande. Si vous voulez tant manger de la viande, faites-vous cuire un steak.

Moi — Le pain de viande est le repas traditionnel de Festivus. Je suis désolée si on préfère fêter sans ingérer des animaux morts.

Roxane — (À Bianca.) Essaie pas de comprendre. Moé, j’ai démissionné depuis longtemps. Je mange mon tofu pis je farme ma yeule.

Bianca — (Douce et angélique.) Beau programme… mais est-ce vraiment à ta portée, Roxane?

Elle — (Intervenant immédiatement pour faire dévier la conversation.) C’est délicieux, ma blondinette au caramel. Et je crois que tu as même acheté une perche en aluminium pour l’occasion, n’est-ce pas?

Blondine — Il fallait bien que je finisse par m’équiper ! Surtout qu’Anne a perdu la sienne lors de son dernier déménagement…

Moi — (Finissant sa bouchée de pain-de-viande-pas-de-viande.) Chaque fois que je déménage, je perds un peu plus de mes maigres avoirs. Au rythme où vont les choses, je vais finir dans une cave humide avec rien d’autre que mes vêtements et mes bouquins.

Blondine — (Avec un sourire un peu triste.) Si tu acceptais de venir habiter avec nous, tu ne manquerais jamais de rien.

Elle — Inutile d’insister, notre poussin grognon est pire qu’une tête de mule. J’ai tenté pendant des années à la convaincre de vivre avec moi, sans succès.

Lui — Oh-oh ! Sommes-nous déjà à l’étape de l’expression des griefs ?

Moi — Aon ! On dirait bien ! Blondine, c’est ton cue !

Blondine — Ok, je vais dire la phrase magique. «J’ai beaucoup de problèmes avec vous et maintenant vous allez en entendre parler!»

Ousmane — Ha ha ha ! Très bien ! Je vais commencer, si vous le voulez bien. Cette année, je me suis tellement ennuyé, alors que j’étais si éloigné de vous toustes. Et j’ai trouvé que nous avons beaucoup trop souvent annulé nos séances de Donjons et Dragons, c’est fou comme c’est un défi de vous rassembler au même moment, même si nous jouons en ligne. Vous manquez de discipline !

Moi — Ha ha ha ! C’est trop vrai ! Et je suis probablement plus coupable que les autres !

Elle — À moi ! À moi ! J’en ai une bonne ! J’ai un problème avec vous toustes, ma bande de coquins en sucre ! Le polycule ne s’est pas réuni au complet depuis l’été dernier, au chalet de Roxy-poupou ! Et il n’y a pas eu d’assemblée générale depuis… des années ! Parfois, j’ai peur que nous dérivions chacune de notre côté…

Lui — (Un peu triste.) C’est vrai que nous ne sommes plus aussi soudés qu’avant.

Moi — Nous sommes un vieux polycule. Je ne crois pas que ce soit un drame terrible. Je peux y aller, maintenant ?

Blondine — Je t’en prie.

Moi — Ok. «J’ai beaucoup de problèmes avec vous et maintenant vous allez en entendre parler!». En fait, mon principal problème est que vous ne m’avez pas encore confirmé si vous avez envie de participer à la première orgie du Phalanstère, le sex cult que j’ai fondé avec Bill et Maël.

Elle — Ça va dépendre de la date de ma chirurgie, ma gazelle en bretzel. Ils l’ont déjà déplacée une fois…

Lui — Moi, j’y serai, c’est certain. Je n’ai juste pas eu le temps encore de m’inscrire sur Discord et rejoindre votre serveur.

Bianca — (Douce et angélique.) Pourquoi vous soumettez-vous à ce rituel ?

Lui — (Pensant qu’on parle encore du Phalastère.) Ce n’est pas tant un rituel qu’une façon d’organiser ces séances de sexe de groupe…

Bianca — (Aussi douce et angélique qu’elle est toujours.) Je parle de Festivus. Cette fausse fête ne rime à rien et vient d’un sitcom des années 90 qui a depuis longtemps perdu toute pertinence. Je peux comprendre que le caractère chrétien de Noël puisse vous agacer, mais tout ceci est triste et pitoyable.

Moi — (Fronçant les sourcils.) Tu charries un peu, là…

Bianca — (Toujours sur le même ton.) C’est cette fête qui charrie un peu, mes chéri·es. Elle est basée sur quoi ? Le conflit verbal et l’agression physique. Vous pensez que c’est beaucoup mieux que Noël? Permettez-moi d’en douter.

Ousmane — Moi aussi, ça m’avait frappé la première fois qu’on m’en a parlé, mais tu constateras que tout cela est fait dans un esprit bon enfant…

Bianca — (Souriante, continuant sur le même ton, comme si elle n’avait pas entendu Ousmane.) Ce n’est pas tout. Pour des gens qui critiquent la superficialité et la surconsommation, c’est ironique que vous adhériez à cette invention en provenance de la télé commerciale américaine qui promeut la nourriture industrielle comme les gâteaux congelés décorés avec des M&Ms et la surconsommation d’alcool. Sachant que certaines d’entre vous ont des problèmes de surpoids, je ne vois pas en quoi Festivus est une alternative plus saine à ce que vous critiquez.

Elle — (Se met à pleurer.)

Roxane — (Furax, se lève de table et pointe Bianca du doigt.) Eille toé ! Ça commence à faire, là ! C’est du fucking pain de viande de granole qu’on mange, pas tes sandwichs à la marde !

Bianca — (Souriante et pas du tout impressionnée.) Inutile de t’énerver, Roxane. Je crois que tu n’as pas compris de quoi il est question — encore une fois.

Roxane — (Rouge de colère.) Arrête de me prendre pour une asti de mongole ! Ça fait longtemps que j’ai compris ta méthode, ma tabarnak ! Là, tu as fait de la peine à ma blonde pis ça, mon ossetie de vache, ça passe pas avec moé !

Elle — (Les larmes coulant sur ses joues.) Roxy-poupou, arrête…

Roxane — (Criant et postillonnant.) Pour qui tu te prends, ma tabarnak ? Si tu aimes pas comment qu’on vit, ben reste chez vous pis viens pas nous faire chier. Tes opinions, on s’en sacre ! Tu te penses peut-être ben brillante pis meilleure que nous autres, mais t’es juste une asti de coincée qui fait rien que juger toute ce que tu comprends pas ! Pis arrête de dire que je suis conne, je suis la première a avoir compris ton petit mind game de stuck up à marde !

Bianca — (Déstabilisée.) Je… je…

Roxane — (Continuant sur sa lancée et criant de plus belle.) «Je je je je»… TA YEULE ! Tu veux savoir comment ça peut être mean, Festivus? Écoute-moé ben, m’a te le montrer, pis en tabarnak à part de ça ! C’est pas parce que tu fourres avec le chum de ma blonde que je suis obligée d’endurer tes airs de supériorité pis tes vacheries! Chuis peut-être pas la fille la plus fancy du monde, mais au moins moé chu pas laide à l’intérieur comme toé! Pis viens pas me dire que je t’haïs parce que t’es intersexuelle ou whatever, je t’haïs parce que tu fais d’la peine à ma blonde ! Y’a PARSONNE, m’entends-tu? PARSONNE qui fait pleurer ma blonde sans avoir affaire à moé ! Apprends à vivre, ossetie de pimbèche à marde !

(Roxane se tait et se rassoit. Tout le monde autour de la table est stupéfait. Ébranlée, Bianca se lève, le visage baigné de larmes, et court en direction de la porte.)

Lui — (Se lève et court derrière Bianca.) Chérie ! Attend !

(Elle sanglote dans les bras de la licorne. On entend la porte claquer. Silence. Tous les regards se tournent vers Roxane.)

Roxane — Ben quoi ? Fallait ben que quelqu’un finisse par lui dire…

Blondine — En tout cas. Les griefs ont exprimés, ça c’est certain.

Ousmane — Est-ce qu’on doit vraiment passer aux exploits de force ? En ce qui me concerne, j’irais directement pour le dessert.

Moi — (Soupire.) Ça me tue de le dire, mais Festivus, ce n’est plus ce que c’était.

< Épisode précédent |Épisode suivant >

Laisser un commentaire