Serveuse — Est-ce que je vous sers quelque chose à boire avant de commencer?
Lui — Les garçons vont prendre du lait…
Samuel — Je veux du jus rouge !
Félix — Non! Un coke!
Lui — Comme je disais, les garçons vont prendre du lait et moi une pinte de Rickard’s Red.
Samuel — Awwww! Je suis grand maintenant et j’aime pu ça le lait!
Moi — Tu as raison, ce n’est pas si bon que ça pour la santé et en plus ça fait souffrir les vaches.
Lui — Eille… je ne vais certainement pas me mettre à lui faire boire de la bière au nom de la libération animale.
Serveuse — Et pour vous?
Moi — Un café noir. Et pour la jeune dame ici… avez-vous du lait de soya?
Serveuse — Je ne crois pas, non.
Moi — Pourriez-vous allez vérifier à la cuisine, juste au cas?
Lou — Dérangez-vous pas : je vais prendre un café noir moi aussi. Avec trois sucres.
Moi — Lou! Depuis quand tu bois du café?
Lou — Depuis qu’Elle m’apporte du Tim’s chaque fois qu’elle vient chez nous.
Moi — Tu fais ça, toi? Depuis combien de temps ça dure? Comment ça se fait que je ne m’en sois jamais rendue compte?
Elle — Ha ha ha… Heu… Je me disais qu’un beigne tout seul, c’est un peu trop sec, han.
Moi — Je me demande pourquoi je persiste à faire semblant de jouer à la mère.
Serveuse — Donc, deux cafés? C’est bien ça?
Lou — Oui.
Moi — Nous sommes dues toi et moi pour une discussion sérieuse, jeune fille.
Lou — Meh.
Serveuse — Et pour vous, madame?
Elle — Je vais prendre un bloody Caesar, mais j’aimerais clarifier quelque chose qui me chicote. Vous offrez un spécial le dimanche pour les familles, n’est-ce pas?
Serveuse — Tout à fait.
Elle — Donc, les enfants mangent gratuitement.
Serveuse — Oui, les enfants de treize ans et moins.
Elle — D’accord. Et pour vous, une famille, c’est quoi?
Lui — Ah non! Tu ne vas pas recommencer!
Elle — Chut, chut, chut. Laisse la dame répondre.
Serveuse — Ben… Deux adultes et deux enfants?
Elle — Vous ne trouvez pas ça un peu hétéronormatif?
Serveuse — Hétéro quoi?
Elle — Il y a des familles qu’on ne peut pas caser dans ce moule patriarcal, vous savez.
Lui — Ça y est, elle repart.
Elle — Dans notre famille, il y a trois adultes et trois enfants. Est-ce que ça veut dire qu’on est condamnés à toujours payer plus que les autres, en plus d’avoir à faire face à la désapprobation implicite de notre arrangement de vie que la société nous revoie quotidiennement?
Serveuse — Je ne suis pas sûre de comprendre ce que vous voulez dire. La politique du restaurant c’est…
Elle — C’est de contribuer à maintenir en place l’hégémonie de modèles familiaux et parentaux périmés? Parce que c’est bien ça que je lis dans votre promotion du dimanche !
Serveuse — Tout ce que je peux dire, c’est que la politique du restaurant…
Elle — Franchement, je suis déçue. Il serait temps que vous envisagiez d’arriver en 2017, vous ne croyez pas?
Serveuse — Je peux appeler le gérant, si vous voulez.
Lui — Non, ça ne sera pas nécessaire.
Elle — Au contraire! Peut-être qu’il va pouvoir nous expliquer pourquoi cet établissement s’implique autant dans le maintien d’institutions caduques comme la famille patriarcale.
Lui — Pitié, non.
Serveuse — Il va venir vous voir dans un instant. En attendant, je vais aller chercher vos boissons et je reviens.
Lui — Pourquoi est-ce qu’il faut toujours que tu fasses un scandale dans les commerces – et jamais ailleurs? Tu ne milites jamais pour quoi que ce soit… sauf quand il y a devant toi quelqu’un qui veut te vendre quelque chose.
Elle — C’est notre licorne en caramel qui déteint sur moi.
Moi — Hein? Quoi? Je n’ai rien à voir dans tout ça!
Elle — Si, si. J’ai pompé toutes les phrases que j’ai dites dans ton blog.
Moi — Je n’aurais jamais dû te refiler l’adresse. Ça m’apprendra.
Le gérant — Est-ce qu’il y a quelque chose qui ne va pas, monsieur, mesdames?
Elle — Oui. Votre serveuse nous a dit que nous ne pouvons pas profiter du rabais familial parce que notre famille ne correspond pas aux normes que la société veut nous imposer.
Le gérant — Elle a vraiment dit ça? Je suis désolé, parce que si vous regardez ici, sur le menu… Il est expliqué que les enfants accompagnés d’un adulte mangent gratuitement et qu’il y a une limite de deux enfants par adulte. Vous êtes trois adultes et trois enfants, donc il n’y aura pas de problème.
Elle — Ah.
Moi — (Étouffe tant bien que mal un rire.) Pfffff…
Le gérant — Avez-vous d’autres questions?
Elle — Non… Non, ça ira. Merci.
Le gérant — S’il y a quoi que ce soit d’autre, n’hésitez pas à me demander. Bon appétit! (Il s’éloigne.)
Moi et Lui — PffffWA HA HA HA HA HA HA HA !
Elle — C’est ça, riez de moi.
Lui — Je ne sais pas si vous le réalisez, mais leur politique est en réalité discriminatoire envers la bonne vieille famille québécoise traditionnelle, avec deux parents et une douzaine de kids.
Elle — Meh.
Moi — Il n’y a plus de doute possible : nous sommes bel et bien en 2017.