Troy — Le parking a l’air d’être plein.
Moi — Arrête ici, je ferai le reste à pied. Merci pour le lift, mon ange !
Troy — Ce fut un plaisir. On se voit samedi, au party d’Halloween ! As-tu ton costume ?
Moi — Je vais mettre le même que l’an dernier.
Troy — Ah oui ? Qu’est-ce que c’est ?
Moi — Je vais me déguiser en Emma Goldman.
Troy — C’est qui, ça ?
Moi — C’est une anarchiste américaine du début du xxe siècle. Attends, je vais te montrer une photo sur internet…
Troy — Hum…
Moi — Je vais tenir un drapeau noir et un exemplaire de Living My Life. Ce sera parfait.
Troy — Tu te souviens qu’on va dans un club échangiste ?
Moi — Oui. Et alors ?
Troy — Ben… La façon de s’habiller d’Emma Goldberg…
Moi — Goldman.
Troy — … Goldman… elle n’est pas très… comment dire… aguichante.
Moi — Ben là… Elle a beaucoup écrit sur la sexualité, sur l’amour libre et a même vécu pendant un temps avec deux hommes. On peut difficilement faire plus sexy qu’Emma Goldman !
Troy — C’est curieux, mais moi, j’arrive à penser à plein d’autres costumes plus sexy qu’une bibliothécaire à petites lunettes et à grand chapeau boutonnée jusqu’en haut du cou.
Moi — Tu regardes trop de porn sur internet, chéri. Et toi, tu vas faire mieux ?
Troy — Et comment que je vais faire mieux ! Cette année, je sors le grand jeu et je me déguise en Saint Sébastien. Genre comme ça… checke !
Moi — Avec les flèches, le sang, l’expression extasiée pis toutte ?
Troy — Oui madame.
Moi — Ça y est, je mouille.
Troy — Hu hu hu !
Moi — Par contre, c’est à moi de te rappeler qu’on s’en va dans un club échangiste. Si tout d’un coup tu as envie d’un peu d’action, ça ne sera pas simple si tu es hérissé comme un porc-épic.
Troy — Meh. Ce sont des flèches à ventouse, je trouverai bien un moyen.
Moi — On verra ça samedi ! (Je l’embrasse sur la joue.)
Troy — Bye bye, Emma Goldwater !
(Je sors de la voiture de Troy et je marche, sac de sport à l’épaule, jusqu’à chez moi. Arrivée au pas de ma porte, je constate qu’un homme s’y trouve et m’y attendait.)
Moi — Qu’est-ce que tu fais là, toi ?
David — Il fallait que je te parle et tu ne réponds plus à mes textos.
Moi — C’est parce que je t’ai bloqué. Tu n’as rien à faire ici. Je ne veux pas te voir.
David — J’étais saoul ! J’ai dit des choses sans réfléchir… je ne veux pas gâcher notre amitié !
Moi — (En cherchant nerveusement mes clés dans mon sac.) On n’a jamais eu d’amitié, David. Désolée si j’ai pu te le faire croire. Je ne faisais pas exprès.
David — (En s’approchant tout près de moi.) On a eu du bon temps ensemble… on pourrait en avoir encore…
Moi — Non. Recule et laisse-moi tranquille. (J’essaie de débarrer ma porte.)
David — Come on… tu m’avais promis de m’inviter chez toi… ce serait le bon moment, là…
Moi — Je ne t’ai rien promis. Maintenant, va-t’en.
(Je réussis enfin à ouvrir ma porte et je m’engouffre à l’intérieur. J’essaie de la refermer, mais David la bloque avec son pied.)
David — Laisse-moi entrer. Juste pour discuter.
Moi — Enlève ton pied ou je crie. Mon chum n’est pas loin et il va venir.
David — Regarde comme tu me fais bander… (Il ouvre sa fermeture à glissière de sa braguette.)
Moi — (En poussant sur la porte le plus fort que je peux, je me mets à hurler.) NON ! VA-T’EN ! VA-T’EN !
(Après une dizaine de secondes qui m’apparaissent comme une éternité, David retire son pied, ce qui me permet de fermer la porte et la verrouiller à double tour. Je cours ensuite barrer la porte d’en arrière, puis je baisse les stores.)
David — (Frappe très fort à la porte.) Anne ! Ouvre ! On va discuter !
Lou — Qu’est-ce qui se passe, maman ?
Moi — (En essayant de ne pas avoir l’air trop affolée.) Ce n’est rien, chérie. Retourne dans ta chambre.
(Davis s’acharne quelques minutes, puis les coups à la porte cessent. Jusqu’à tard dans la nuit, je reste prostrée, assise à la table de ma cuisine, trop secouée pour oser bouger.)