Épisode 134

Troy — Je suis un peu déçu, je dois avouer. Ça m’excitait vraiment de visiter un club échangiste et je m’attendais à quelque chose de plus… je sais pas.

Moi — De plus excitant ?

Troy — Ouais. C’est comme un bar de banlieue un peu kitch rempli de quinquagénaires en goguette.

Moi — Tu ne peux pas dire que je ne t’avais prévenu, mon ange.

Troy — Et la déco… on croirait un film porno des années soixante-dix.

Moi — En plus, il n’y a pas foule.

Troy — C’est tristounet, borderline déprimant.

Moi — Mon ex ajouterait : hétéronormatif.

Troy — Et l’action ? Où est-ce que ça se passe ?

Moi — Au sous-sol. Viens, il y a peut-être quelque chose d’intéressant à y voir.

Troy — Je te suis.

(Je descends l’escalier. Dans la salle principale, une dame d’une soixantaine d’années coiffée d’un chapeau de sorcière se fait baiser par Batman pendant qu’une dizaine de mecs masqués se branlent en attendant leur tour. Je fais signe à Troy de venir s’asseoir sur le divan, à deux pas de la scène. Dès que mes fesses touchent la cuirette, je me sens soudainement très bizarre.)

Moi — Oh shit.

Troy — Quoi ?

Moi — Je pense que la pilule vient d’embarquer.

Troy — Ha ! Ça t’a fait de l’effet plus vite qu’à moi. Comment tu te sens ?

Moi — Bien… très bien…

Troy — Alors profite, chérie. La première fois est souvent la meilleure.

Moi — On dirait que ma peau est surexcitée… (Je caresse le divan.) Tout est doux…

Troy — Ha ha ! Moi aussi, ça me fait ça.

Moi — C’est comme si j’étais un bouchon de liège qui flotte dans la mer… comme des… vagues de bonheur…

Troy — Wow !

Moi — Quand je pense que j’ai attendu quarante ans pour réaliser qu’exister, c’est ben en masse. Tout est juste parfait.

Troy — Ouais, ça ne pourrait pas être mieux.

Moi — Je pense que j’ai enfin trouvé ma place dans l’univers. C’est ici, dans le sous-sol d’un club échangiste.

Troy — Il n’y a RIEN à changer !

Moi — Les pensées qui se bousculent toujours dans ma tête… il n’y en a plus… je n’ai plus peur de rien… tout le monde est… magnifique.

Troy — Toi, tu es magnifique.

Moi — Toi aussi. Tu existes et c’est ben en masse. Je me sens tellement lié à toi… et au reste du monde ! C’est une connexion cosmique !

Troy — Moi je me sens lié au sofa en querisse. Donne-moi un câlin !

Moi — GOD ! Je…. Oh ! C’est trop bon !

Troy — Je pense que je vais avoir un orgasme de coude.

Moi — Ton coude se contente d’exister et franchement, c’est parfait comme ça.

Troy — Hum… J’ai envie de bouger. Si on retournait en haut, pour aller danser ?

Moi — Ce serait parfait. Tout est parfait. (Je me lève avec lui.)

Troy — (À la dame qui se fait baiser devant nous.) Madame, vous êtes belle !

La Partouzarde — Hein ?

Moi — Vous existez et c’est correct de même !

(En montant l’escalier, je me rends compte que Troy a perdu toutes les flèches en plastique de son costume de Saint Sébastien.)

Moi — Troy ! Tes flèches… Tu ressembles à Jésus, maintenant ! Jésus au club échangiste !

Troy — Bah, c’est correct. Tout est ok.

Moi — Tes flèches existent. Elles sont dans l’univers. Je ne pense pas qu’on puisse demander plus.

Troy — Hey ! Ils font jouer les Bee Gees ! C’est bon les Bee Gees !

Moi — Pas vraiment, mais là, je trippe solide.

Troy — Ouf ! Tu me frôles et je pense que je vais venir.

Moi — Imagine si j’avais pris ce truc avec Ousmane… on aurait joui ensemble en se touchant le visage !

Troy — 🎶 Tragedy… 🎶 When the feeling’s gone and you can’t go on… 🎶 It’s tragedy 🎶

Moi — Le feeling est pas pantoute gone… Je suis en plein dedans et c’est parfait.

(Trois heures plus tard, après avoir dansé en m’extasiant continuellement sur la merveille que constitue le fait d’exister – et en oubliant totalement que j’étais dans un club échangiste – je me retrouve à l’extérieur, déjà passablement descendue des nuages et j’attends le taxi avec Troy.)

Moi — Ok. Ça, c’était weird.

Troy — Avoue que tu as aimé ça, espèce de drognée.

Moi — Oui, bien sûr, sauf que là, je me sens… hey ! Tes lunettes ont disparu de ton visage !

Troy — Euh… Je ne portais pas de lunettes.

Moi — Je ne suis pas folle. J’ai vu que tu portais des lunettes…

Troy — Je te jure.

(Long silence.)

Moi — Qu’est-ce qu’il fout, ce taxi ? Je veux rentrer chez moi.

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