Épisode 244

(Au demi-sous-sol, j’écris à ma table de travail.)

Elle — Hey la poétesse ! Lâche ton ordi et viens manger… je t’ai fait un plat brunâtre et fibreux comme tu les aimes.

Moi —Je ne suis pas poétesse. Je me contente de faire des vers.

Elle — Comme un cadavre, finalement.

Moi — …

Elle — Ha ha ha ha ! Ma girafe en fruits confits ! Si tu voyais ta tête !

Moi — (Boude.) Pffff. Qu’est-ce qu’elle a, ma tête ?

Elle — (Elle prend mon menton et relève ma tête.) Elle est mignonne comme tout, ta tête.

(Elle m’embrasse.)

Elle — Alors ? Qu’est-ce que tu écrivais ?

Moi — Quelque chose pour notre discussion avec Blondine et Ousmane, au sujet du bébé. Je t’en parlerai plus tard, quand j’aurai fini.

Elle — Aon ! (Elle pointe l’écran de l’ordinateur du doigt.) Et cet autre texte, là… C’est quoi ?

Moi — Quelque chose que j’ai écrit pour toi.

Elle — Aon ! Aon ! Aon ! Aon !

Moi — Ça s’intitule « La Conque ».

Elle — La conne ?

Moi — Nenon. La conque – le coquillage.

Elle — (Câline.) Tu m’en lis un bout ?

Moi — Ce n’est pas bien long. Je peux te le lire en entier.

(Elle s’approche tout contre moi.)

Moi — (Lis.) On dit que porter un coquillage contre son oreille permet d’entendre le bruit de la mer. Quand je porte son con à mes lèvres et que le goût salin de sa mouille envahit ma bouche, quand elle serre ses cuisses contre mes oreilles, quand elle pose délicatement ses talons sur mes épaules, j’entends le bruit du bonheur. Un bonheur spontané, gratuit, immédiat, rugissant dans son sang comme un éclat de rire dans la tempête.

Elle — Oh !

Moi — (Lis.) Chaque fois que ça se produit, je souris, puis je pousse ma langue en elle, toute empressée que je suis de me délecter de ses saveurs intimes et marines. Et lorsque je ne peux plus m’enfoncer davantage, lorsque je touche finalement le tréfonds de son âme, mes mains glissent, paumes plates et lisses, le long de la douce chair qui s’étend des profondeurs de ses fesses aux vallons légers de ses genoux. Ensuite, je m’accroche à elle, j’écarte ses cuisses, je soulève ses hanches pour laisser ma bouche migrer lentement vers le sud, vers le soleil obscur de son cul, vers cette plage plissée de dunes aux exhalations épicées et enivrantes. Si ses mains sont libres…

Elle — … ce qui n’est pas souvent le cas…

Moi — (Lis.) … elle laisse alors danser amoureusement ses doigts fins dans ma chevelure, empoignant et repoussant mes cheveux suivant les retraits et les insertions de ma langue, agaçant ma nuque de ses ongles de corail. Mais comme elle préfère avoir les poignets solidement liés bien au-dessus de sa tête, je me contente la plupart du temps des frémissements saccadés de son corps, des ondulations langoureuses de son ventre, de ses hanches qui tanguent comme un radeau à la dérive sur une mer démontée. Si sa bouche est libre…

Elle — … ce qui n’est pas non plus souvent le cas…

Moi — (Lis.) … elle laisse alors sa parole divaguer dans un torrent de cris et de chuchotements, d’injonctions et de supplications, de litanies et de blasphèmes. Alors, dans une pentecôte luxurieuse et perverse, elle me parle en langues, frappée par l’esprit saint des débauchées, transfigurée par le plaisir bestial des anges et me décrit sa jouissance dans une glossolalie obscène. Mais comme elle préfère être bâillonnée, je me contente la plupart du temps de ses soupirs, de ses gémissements, des gargouillis baveux de sa gorge, ou encore de son regard suppliant, baigné de douces larmes en perles de joie sur la houle de sa jouissance.

Elle — Je fais ça, moi ?

Moi — Oh oui. Tu veux entendre la fin ?

Elle — Voui !

Moi — (Lis.) Je crois que c’est T.S. Eliot qui a écrit que « l’homme ne peut prendre trop de bonheur »… à moins que ce soit « trop de vérité » ? Je ne saurais dire, surtout lorsqu’elle laisse perler son bonheur sur ma figure, lorsqu’elle projette à la ronde la pluie fine et poisseuse de ses ardeurs vénériennes. Mais puisque je ne suis pas un homme, je prends mon bonheur où je peux et c’est là ma seule vérité.

Elle — C’est beau, mon amour… (Elle me prend dans ses bras.)

Moi — (Tout bas.) On dit que porter un coquillage contre son oreille permet d’entendre le bruit de la mer. Quand je porte ton sein à mon oreille, que tu ouvres tout grand tes bras et que tu me presse tout près de son cœur, j’entends le bruit du bonheur.

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