Où la licorne succombe à ses désirs de Fourier.
(Un après-midi ensoleillé dans une chic résidence du quartier Glebe d’Ottawa. À la demande de Bill, c’est «first, tea time, then sexy time ».
Bill — Tea is ready, darlings !
Moi — J’adore quand tu dis ça, « darling ». Tellement que j’ai attrapé ce mot par contagion et je me surprends à l’utiliser moi aussi… constamment !
Maël — Bill se faire tester régulièrement. J’ose espérer qu’il n’y ait que son vocabulaire qui soit contagieux !
Bill — (Faussement outragé.) I’m clean as a whistle, ladies !
Maël — Sure you are babe. De toute façon, on n’a pas eu beaucoup d’autres partenaires en dehors de notre couple depuis les dernières années. À part Anne, il y a eu James et Steve et c’est pas mal tout.
Bill — Don’t forget Julie.
Maël — (Soupire.) Comment l’oublier…
Bill — (S’adressant à Moi.) We haven’t had a real party since de pandemic, you see.
Moi — Je saaaaiiiiis ! Je suis dans la même situation. En masse de triolisme, mais pas beaucoup plus. Mais Maël… toi qui aimes tant les gang bangs et les bukakes… tu dois trouver ça difficile.
Maël — Oh tu sais, le sexe, moins on en a, moins on en désire. Bill et moi, nous nous sommes fait une raison; notre carrière de partouzeurs est close.
Bill — But Anne… your polycule is as large and complex as the org chart of a transnational corporation. Surely you have a pool of lovers to choose from when you want to group play.
Moi — On serait tenté de le croire, han. La vérité, c’est que Ousmane s’est exilé, Brigitte et Mathieu sont occupé·es avec leur nouvelle flammes ou leur épouse, Blondine se contente de nos play dates avec Maîtresse SD, Pierre et Troy reçoivent uniquement des dudes à la maison…
Maël — Sans compter Owen qui a pris sa retraite et n’organise plus de gang bangs.
Moi — Ouais. Les temps sont durs pour les libertin·es.
Bill — Yup. There is no God for sluts.
Moi — (Mélancolique.) On finirait par croire que toutes les personnes saines de corps et d’esprit qui aiment les sports d’équipe se sont volatilisées.
(Les trois boivent leur thé en silence quelques minute, jusqu’à ce que Maël dépose sa tasse en fronçant les sourcils.)
Maël — Vous savez ce que ma mère disait ?
Moi — Je brûle de l’apprendre.
Maël — « Dans la vie, si tu veux du sucre à la crème, fais-toi en. »
Bill — I fail to see the point.
Maël — C’est simple, pourtant. Si nous voulons des séances de sexe de groupe, inutile d’attendre que quelqu’un les organise à notre place. Il nous faut prendre le flambeau qu’Owen a laissé tomber et créer notre propre cercle orgiaque.
Moi — OUI ! On se part une société secrète de partouzards !
Bill — A SEX CULT !
Moi — Oui, mais sans gourou, sans chef. Un groupe d’affinité pour orgies autogérées !
Bill — We could recruit online, on dating apps…
Maël — Et se créer un serveur Discord secret pour comploter à notre guise !
Moi— On pourrait appeler ça Le phalanstère !
Bill — Le what now ?
Moi — Le phalanstère! Vous connaissez Charles Fourier ?
Maël — Châle fourré ?
Moi — Fourier. Charles Fourier. Le penseur socialiste utopiste du 19e siècle.
Bill — Sounds pretty much the same.
Moi — Attendez que je le gougueule… voilà son portrait le plus célèbre. Par Jean Gigoux.

Maël —Brrrr. Ce type ne m’inspire aucune idée libidineuse.
Moi — Et pourtant. Fourier a écrit un livre, Le Nouveau Monde Amoureux, où il analyse la société de son temps, critiquant sévèrement le mariage monogame et l’asservissement des femmes.
Bill — And his time was…?
Moi — Les trois premières décennies du 19e siècle. Pour remédier à l’exploitation économique, politique, sociale et sexuelle qu’il observait dans ce qu’il appelait la Civilisation, Fourier a élaboré un autre modèle théorique de société, l’Harmonie, fondée sur la disparition du mariage monogame, la multiplication systématique des relations amoureuses de toutes natures, et une égalité absolue entre les sexes. En plus du travail en commun et la répartition des tâches selon les désirs et capacités de chacun et chacune.
Maël — Un genre de hippie qui voulait transformer le monde entier en commune, en somme.
Moi — Un hippie 150 ans avant l’heure, oui.
Maël — Et le phalans…
Moi — Le phalanstère.
Maël —C’est ça. Le phalanstère. Qu’est-ce que ça à voir là dedans ?
Moi — C’était pour Fourier l’unité de bas de la société. Un immense édifice regroupant deux mille individus mettant tout en commun.
Bill — Sex included ?
Moi — Yessir ! Notre phalanstère serait un hommage à un penseur social oublié, un des premiers socialistes.
Maël — (Levant sa tasse de thé comme pour faire un toast.) It’s a deal. Créons de toute pièce notre nouveau monde amoureux !
(Les trois trinquent en rigolant.)
Moi — Woohoo ! Vive l’utopie ! Quand est-ce qu’on commence?
Bill — Well, I can create the Discord server right now…
Maël — Minute Charles ! Tu feras ça plus tard. Faudrait pas oublier qu’Anne n’est pas venue ici seulement pour Fourier !
Bill — (Levant les yeux au ciel.) That’s enough terrible puns for one episode, ladies.