Épisode 109

Moi — C’est un vendredi soir étrangement chaud pour septembre à Gatineau et la licorne – c’est-à-dire, moi-même – a été invitée dans le donjon de Maîtresse Sweet Domination, connue également sous le nom de Marlène Landry, épouse de son ex-blonde.

(Ça me rappelle soudainement que ma fille passe des semaines entières avec elle et franchement, ce n’est pas la pensée la plus chouette à avoir en ce moment précis. En tout cas.)

Maîtresse Sweet D, comme elle aime se faire appeler, gagne sa vie comme dominatrice professionnelle et a aménagé une chambre de torture des plus impressionnantes dans ce local qu’elle loue dans un parc industriel que je ne nommerai pas because Maîtresse Sweet D n’a rien à faire de la publicité que je pourrais éventuellement lui offrir et préfère le bouche à oreille que lui fait sa clientèle déjà établie. Ce soir, par contre, elle officie uniquement pour son propre plaisir et celui des dames ici rassemblées : Princesse-petit-pois, alias « Elle », alias « mon amour adoré », Blondine, alias « Judith », alias « mon ex-étudiante qui contribue à mon inconfort d’être ici » et Langoisse, alias « Moi », alias « j’aurais dû me choisir un meilleur pseudo ce soir-là, maudite marde ».

Pour cette séance, Maîtresse Sweet D a pris soin de distribuer les rôles. Princesse-petit-pois et Blondine seront les préposées aux chambres d’un hôtel de luxe et Langoisse sera leur patronne. Maîtresse Sweet D s’est quant à elle réservé le rôle de la riche cliente monégasque qui se croit tout permis parce que le fric lui sort de tous les orifices de son corps.

Blondine — Dis-donc, tu as mis un uniforme de bonne française sexy pour venir travailler?

Princesse-petit-pois — Oui, je l’ai acheté pour l’Halloween il y a quatre ans et j’ai eu toutes les misères du monde pour l’enfiler. Je pense que j’ai pris un peu de poids.

Langoisse — Silence, mesdames ! La baronne de Kruelle-Sanraison devrait arriver d’une minute à l’autre et il faut que sa chambre soit impeccable. Blondine, tu t’occupes du lit. Et toi, Princesse-petit-pois, tu t’occupes des chiottes. Je veux qu’on puisse déguster sa soupe dans la cuvette.

Princesse-petit-pois — Ouache, quand même.

Langoisse — Je ne veux plus entendre un mot ! Et que ça saute !

Blondine — (Tout bas.) Quelle cruche, celle-là !

(Elles se mettent au boulot sans enthousiasme pendant que Langoisse les observe, une badine à la main.)

Langoisse — Plus vite, mesdames! Ça ne sera jamais prêt à temps ! Blondine ! Tu appelles ça faire une lit ? Le drap n’est même pas tiré du côté droit !

Blondine — Ah la la, ça va, hein. C’est pas comme si on était payées à l’heure.

Langoisse — Mais vous êtes payées à l’heure, justement ! Et toi, Petit-Pois… cette toilette est soulèvecœurante ! Je vous avais prévenues, je vais noter toutes ces insubordinations à vos dossiers !

Princesse-petit-pois — Pfff. Qu’est-ce qu’on s’en branle.

Blondine — (En glissant sa main sous sa ceinture.) On s’en branle… littéralement ! Hé hé hé…

Langoisse — Oh non ! Et voilà que la baronne de Kruelle-Sanraison arrive ! Je suis perdue !

Sweet Domination — Voilà dix minutes que j’attends à la réception et qu’est-ce que j’apprends maintenant? Ma chambre n’est pas encore prête !

Langoisse — Toutes mes excuses, madame la baronne… ce sont ces deux bonnes à rien qui ne font que glander en fourrant leur main dans leur culotte…

Sweet Domination — Quand les employées ne performent pas de façon satisfaisante, c’est avant tout la faute du personnel d’encadrement. Il faut faire preuve de fermeté en maintenant une apparence d’ouverture ; voilà ce qu’on apprend dans tous les ateliers de la méthode Kaizen. Cent vingt-sept millions de Japonais ne peuvent pas avoir tort !

Langoisse — (Sur un ton pleurnichard.) Je sais, mais c’est tellement difficile de recruter de la main d’œuvre de nos jours. Et tous ces milléniaux ne pensent qu’à tripoter leur téléphone et leur entrejambe…

Sweet Domination — (Agrippe mes épaules et me secoue.) Ressaisissez-vous ! Devenez une patronne digne de ce nom et disciplinez ces deux garces !

Langoisse — Mais je ne sais pas comment…

Sweet Domination — (Soupire.) L’incompétence… quelle plaie. Je vais vous montrer comment traiter ces esclaves salariées. Vous deux, déshabillez-vous. Et que ça saute !

Princesse-petit-pois et Blondine — Oui madame.

Sweet Domination — Et vous, la patronne d’opérette, aidez-moi à attacher leurs poignets sur ces sangles.

Langoisse — Celles qui sont au bout de ces cordes passées sur les poulies au plafond ?

Sweet Domination — Exactement. Nous allons les suspendre pour que seuls leurs orteils touchent au sol.

Blondine — Pitié ! Non ! Dorénavant, je vais toujours remplir ma feuille de temps dans tricher !

Princesse-petit-pois — Oui ! Et je ne vais plus jamais pisser dans le pot de café des patrons!

Sweet Domination — Trop tard pour regretter ! Vous allez avoir la correction que vous méritez depuis longtemps ! (En se tournant vers moi.) Allez, dites-leur qu’elles vont souffrir!

Langoisse — (Sur un ton hésitant.) Oui… vous allez… euh… souffrir.

Sweet Domination — Quelle mollesse ! Quel manque de conviction ! Je devrais vous suspendre vous aussi, pour vous apprendre votre métier !

Langoisse — Peut-être que c’est ce dont j’ai besoin, après tout…

Sweet Domination — On verra plus tard. Ce qui importe maintenant, c’est de châtier ces deux impertinentes !

(Langoisse et Sweet D se mettent alors à fustiger Blondine et Petit-Pois jusqu’à ce que leurs fesses se couvrent de zébrures cramoisies. Les deux femmes sont ensuite torturées au vibromasseur jusqu’à ce qu’elles fassent une flaque sur le plancher, entre leurs pieds nus.)

(Plus tard, les quatre femmes se prélassent dans le grand lit de Sweet D. )

Judith — C’est drôle, tu avais l’air aussi nerveuse que lorsque tu étais mon prof, en classe.

Moi — Ça ne fait que démontrer à quel point je maîtrisais mon personnage.

Elle — Quand c’est le temps de faire preuve de maîtrise, tu es imbattable, mon amour !

Marlène — Ce petit scénario était pas mal du tout. Tu as du talent pour et écrire et beaucoup d’imagination !

Moi — Je vais prendre le compliment pour l’écriture, mais pour ce qui est de l’imagination… tout ce que je fais, c’est érotiser mes peurs et mes oppressions.

Judith — C’est-à-dire ?

Moi — Le BDSM me permet d’érotiser mes malheurs – et donc de les rendre assez supportables pour survivre. Ce qu’on vient de mettre en scène et de jouer en la caricaturant, c’est oppression à la fois banale et incroyablement violente que le travail nous fait subir.

Judith — Caricature, c’est le mot ! Les patronnes ne frappent plus les domestiques… il y a des lois contre ça.

Moi — L’oppression s’est donné un visage humaniste, mais elle reste fondamentalement la même. Vous êtes toutes comme moi, rien d’autre que des esclaves salariées condamnées à la survie dans leur « vraie » vie. Le BDSM, c’est le miel qui enrobe la pilule amère du capitalisme.

Marlène — Parle pour toi. Le BDSM, c’est ma vraie vie à moi.

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