(Au rayon des produits capillaires de la pharmacie. Je prends une canette de mousse coiffante, je regarde furtivement à gauche et à droite, puis je la glisse dans mon sac.)
La dame des cosmétiques — (Derrière moi.) Qu’est-ce que vous faites là ?
Moi — (Tremblante et rouge comme une tomate.) Euh… Je… Je vérifie si la canette rentre bien dans mon sac.
(Silence – qui me semble interminable.)
La dame des cosmétiques — (Croise les bras, sourit et me fait un clin d’œil.) Essayez d’en mettre deux… on sait jamais, peut-être que ça rentre aussi.
(Stupéfaite, je la vois retourner derrière son comptoir en trottinant.)
Elle — (Revenant du comptoir des prescriptions.) Maille gode ! J’ai appelé à l’avance… pourquoi est-ce qu’ils m’ont fait attendre vingt minutes pour mes querisses de pilules ?
Moi — (Tout bas, en la tirant par la manche.) On lève les pattes. Now.
Elle — Hein ?
Moi — (Toujours tout bas.) Pose pas de questions. On déquerisse tout de suite !
Elle — Euh… Ok…
(En sortant de la pharmacie, j’entrevois une dernière fois la dame des cosmétiques qui me sourit à belles dents.)
* * *
(Dans l’auto. Elle est au volant.)
Elle — Bon, c’est quoi l’affaire ?
Moi — Je me suis fait prendre en flagrant délit de vol à l’étalage.
Elle — QUOI ?
Moi — La fille au comptoir des cosmétiques m’a vu mettre ça dans mon sac.
Elle — Une cannette de mousse ? Tu as volé de la fucking mousse coiffante ?
Moi — C’est écrit « Très mousse » dessus et tu sais à quel point j’aime les mauvais jeux de mots…
Elle — Tu as risqué la prison pour une cannette de mousse à sept piasses ! T’es folle ou quoi ?
Moi — La prison… n’exagérons rien.
Elle — Tu aurais pu voler quelque chose que chose de valeur, tant qu’à faire ce genre de niaiserie.
Moi — La dame m’a fait un clin d’œil et m’a laissée filer en me disant de prendre une autre cannette. J’ai pas voulu pousser ma luck et j’ai pris la poudre d’escampette – sans prendre la poudre de fond de teint, comme j’avais initialement prévu de le faire.
Elle — Tu parles d’une employée !
Moi — Elle ne se sent pas obligée de jouer les chiens de garde de la camelote de son employeur qui la paie au salaire minimum. Je trouve ça tout à fait admirable.
Elle — Je ne comprends pas pourquoi tu as fait ça…
Moi — Ça fait des années que je vole dans les commerces. Quand j’étais plus jeune, j’appelais ça de la reprise individuelle, mais je suis maintenant trop vieille pour ce genre d’euphémismes.
Elle — C’est encore une affaire d’anarchiste, c’est ça ?
Moi — Meh. Comme je te l’ai dit, j’ai passé l’âge d’enrober mes sales manies de justifications idéologiques. Je fais du vol à l’étalage parce que ça me donne un rush et parce que ça me donne la vague impression de reprendre une miette de la vie qu’on m’a volée.
Elle — Je trouve que ça sonne en masse comme une justification idéologique.
Moi — Ouain.
Elle — Tu n’as même pas besoin de ça, de la mousse ! Si au moins tu volais quelque chose d’important, genre du pain pour nourrir ta fille…
Moi — C’est important, la mousse. Mes cheveux ont besoin de volume.
Elle — N’importe quoi…
Moi — Et puis tu connais Lou. Elle préfère les Jos Louis au pain tranché.
Elle — C’est à se demander pourquoi elle est si maigre.
Moi — Toute cette marchandise qui me nargue en prenant des poses aguichantes sur les tablettes et que je ne peux avoir sans la payer avec le temps que j’ai perdu. La moindre des choses, c’est que je me venge.
Elle — Tu ne t’es jamais fait prendre ?
Moi — C’était aujourd’hui la deuxième fois. La première, j’avais dix ans et ma mère m’a sauvée en promettant au gars de la tabagie qu’elle me chaufferait les fesses de retour à la maison – ce qu’elle n’a pas fait, bien entendu.
Elle — Il y a des fessées qui se perdent, c’est le cas de le dire.
Moi — Elles ne se perdent pas pantoute. Je te les prodigue avec générosité.
Elle — Ha ha ha, très drôle. N’empêche que c’est incroyable ce qui est arrivé. Et c’est incroyable que ce soit la première fois que tu te fait prendre depuis que tu es adulte.
Moi — Il faut dire que j’ai développé des tas de trucs très efficaces et qu’en prime, j’ai l’air d’une gentille petite madame qui ne ferait jamais de mal à une marchandise au prix régulier.
Elle — Ah la la… je suis en amour avec une criminelle endurcie.
Moi — Tu trouves ça excitant, avoue.
Elle — Je trouve ça surtout puéril.
Moi — Ouch. Ça fait mal, ça.
Elle — Et ne compte pas sur moi pour t’apporter une lime cachée dans un gâteau si tu te retrouves en prison.
Moi — Tu m’enverras ta culotte par la poste, ce sera ben en masse.
Elle — Et bien en mousse.