Roxane — Tsé, je peux ben te raconter mon enfance pis toute, tu comprendras pas plus pourquoi c’est que je suis de même. Tu trouves que j’ai pas d’allure pis peut-être que t’as raison. Une affaire de sûre, c’est que je suis comme je suis pis que je suis pas à veille de changer.
Moi — Raconte toujours, on verra bien.
Roxane — Ben tu l’auras voulu. À ta santé, asti ! (Elle prend une gorgée de sa Coors dry. Elle regarde ensuite longuement son verre, puis se décide enfin à parler.) Je viens pas d’une famille particulièrement riche… mais d’un autre côté, on était pas particulièrement pauvres non plus. On vivait dans une petite ville pis quand mes cousines venaient nous voir, elles disait qu’on restait dans « la ville qui pue », parce qu’il y avait une usine qui faisait de la pâte kraft. Ça m’insultait, parce que moé j’étais habituée à l’odeur, mais c’est vrai que ça sentait la marmite de soupe aux choux qui a brûlé au fond. Mon père travaillait dans cette usine-là, c’était payant, mais il travaillait fort et je le voyais pas souvent. Je pense qu’il aimait mieux rester avec ses chums de brasserie qu’avec nous-autres. C’est ma mère qui m’a élevée, moi pis mes deux frères – même si élevée, c’est un ben gros mot, tsé, moi j’étais le middle child pis elle avait pas ben ben de temps pour moé. Quand j’étais petite, je peux pas dire que j’ai manqué de grand-chose, sauf peut-être d’attention, mais bon, on est pas mal toutes dans c’te bateau là, han ?
(Elle reprend une gorgée de bière, reste un instant silencieuse, puis poursuit.)
J’ai jamais aimé l’école. Mes deux frères avaient des bonnes notes, mais pas moé. J’haïssais les profs, pis je trouvais la plupart des autres enfants niaiseux. Ma mère était ben découragée, mais mon père, lui, s’en côlissait pas mal… y me disais qu’une fille, ça n’a pas besoin d’aller longtemps à l’école. Faque tu sais quoi ? C’est exactement ça que j’ai faite : j’ai lâché l’école en secondaire trois, chu allée travailler un an ou deux dans un dep, pis ensuite j’ai compris que je ferais jamais de cash sans me grouiller le cul… faque j’ai faite l’examen d’équivalence de secondaire cinq pis j’ai pris mes cartes de charpentier-menuisier. Depuis ce temps-là, je ris des niaiseuses comme toé qui ont fait des études de trou d’pet coincé qui leur ont donné des gros diplômes sur leur mur pis des mots à cent piasses dans la yeule, mais qui ont jamais une querisse de cenne. Alors que moé, j’ai une grosse cabane pis je roule en F-250. End of story. (Elle replonge son regard dans son verre de bière.)
Moi — Rox…
Roxane — Quoi ?
Moi — Tu le vides, ton sac ou pas ?
Roxane — (Soupire.) Asti que tu fais chier.
Moi — C’est réciproque.
Roxane — (Soupire.)
Moi — Alors ?
Roxane — (Prend une gorgée de bière.) Je me souviens– je devais être genre en cinquième année – j’étais dans la cour d’école pis j’avais couru pas mal en jouant au ballon chasseur. J’étais accotée sur la clôture pour reprendre mon souffle pis là, j’ai vu une fille d’une autre classe que j’avais jamais vue. Je sais pas pourquoi, je la regardais pis je me sentais drôle à l’intérieur. Ça fait que je lui ai demandé de prendre mon pouls, comme ça, pour aucune raison… tsé pour voir si a pouvait sentir les battements de mon cœur. A l’a dit « ok » pis sa main s’est retrouvée près de mon cou aussi loin que possible de… tsé, où c’est que tu penses, là. Pourtant, j’ai ressenti des choses que j’avais jamais ressenties, asti j’ai crémé mes bobette pis j’ai eu peur, j’ai comme fait une attaque de panique. Chu devenue moite pis mon cœur battait pas, y vibrait comme un asti de cellulaire. La fille aussi genre a comme eu peur, a l’a dit que mon cœur battait si fort qu’a pouvait le sentir battre même de loin. Est ensuite partie en courant rejoindre ses amies pis moé, je me sentais comme si j’avais basculé dans un autre univers. Quand je suis rentrée de l’école pis que j’ai dit à ma mère ce qui s’était passé, qu’une fille avait touché mon cœur pis que ça m’avait comme rendue folle, a l’a changé tout de suite d’air pis mon cœur s’est arrêté pour une deuxième fois. Ma mère m’a regardée dret dins yeux pis a m’a dit de plus jamais demander à une fille de toucher mon cœur.
Moi — On peut pas faire plus direct que ça, n’est-ce pas…
Roxane — Ouain. Ça m’a mis en colère, c’est sûr. Je pense que j’ai pas décoléré depuis. Le lendemain à la récré, je suis allée voir la fille pis je lui ai demandé de toucher encore mon cœur. Elle m’a regardée comme si j’étais une asti de monstre, faque que je lui ai querissé un asti de bon coup de poing dans face. Elle s’est mise à saigner du nez pis à brailler, j’ai été suspendue de l’école pour une semaine.
(Elle reprend une gorgée de bière.)
Évidemment, ma mère a capoté. Mon père, lui, a comme eu la confirmation que j’étais une déviante, faque… il m’a plus ben ben adressée la parole pis pus jamais touchée. C’était comme si j’avais la lèpre. Mon frère m’a dit qu’il est dans une maison de vieux pis qu’il a l’Alzheimer. Y peut ben crever tout seul dans sa pisse, l’asti ! Y’a personne qui va me traiter de monstre juste parce que je veux qu’on touche mon cœur. PARSONNE. Pis les asti de fendantes qui me jugent, je les vois venir à des miles à la ronde. Laisse-moé te dire qu’à comprennent vite leur douleur, y’ont même pas le temps de s’ouvrir la yeule.
(Elle boit sa dernière gorgée de bière.)
C’est tu assez pour toé ?
Moi — Oui. Ramène-moi à la maison.
La suite n’est qu,une longue série de matricule….
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