L’inconnue — (Retenant pour moi la porte de l’ascenseur.) Quel étage?
Moi — (Timidement.) Le vingtième.
(Je fixe les voyants lumineux des étages en écoutant une version pour orchestre de Question de feeling.)
L’inconnue — Vous êtes Anne Archet, n’est-ce pas ?
Moi — Ahem… euh… oui. Comment avez-vous deviné ?
L’inconnue — Vous ressemblez aux photos qu’on trouve sur votre site.
Moi — Je pensais les avoir enlevées depuis longtemps…
L’inconnue — Google n’oublie jamais. (Elle sourit et me tend la main.) Sophie Beaulieu. Je travaille ici comme directrice des communications. Et je vous lis depuis toujours!
Moi — Enchantée, Sophie.
(Je retourne à ma contemplation anxieuse des boutons de l’ascenseur.)
Sophie — (Après avoir remarqué ma carte de sécurité temporaire.) Vous êtes maintenant à l’emploi de notre ministère ?
Moi — Pour un contrat de révision d’un mois, oui.
Sophie — Alors bienvenue parmi nous !
Moi — Merci.
(Les portes s’ouvrent, deux personnes sortent de l’ascenseur et je me retrouve seule avec elle.)
Sophie — J’ai particulièrement aimé votre histoire avec le chien. C’était à la fois répugnant et étrangement excitant.
Moi — C’est ce qu’on me dit toujours. Je suis contente que ça vous ait plu.
Sophie — Je peux vous poser une question? me demanda-t-elle aussitôt que la porte fut refermée.
Moi — Bien sûr.
Sophie — Pourquoi n’avez-vous jamais écrit d’histoire qui se passe dans un ascenseur ?
Moi — Probablement parce que c’est un des clichés les plus usés du genre.
Sophie — Ah?
Moi — Oui. Le huis clos… la promiscuité et le désir qui monte alors que l’ascenseur lui, est immobilisé… sans compter la similarité lexicale entre l’élévation et l’érection… tout ça a été dit et redit cent fois.
Sophie — Vous croyez ?
Moi — Bien sûr. C’est aussi usé que le coup du livreur de pizza dans les films pornos des années soixante-dix. Vous mettez en contact deux étrangers qui en d’autres circonstances ne se seraient même jamais adressé la parole – et encore moins caressé l’entrecuisse. Ensuite, vous décrivez l’échange furtif de regards, l’amorce timide de la conversation, puis paf! La panne. C’est l’élément déclencheur, celui qui fait que, de fil en aiguille, les petites culottes volent, les muqueuses sont tripotées et les fluides corporels s’échangent.
(Elle me regarde avec un drôle de sourire au coin de la bouche.)
Sophie — Si je comprends bien, les clichés ne sont pas dignes pour vous d’être écrits.
Moi — C’est à peu près ça, oui.
Sophie — (En défaisant le bouton de son corsage et en appuyant sur celui de l’arrêt d’urgence de l’ascenseur.) Mais sont-ils dignes d’être vécus?
(Elle me démontre ensuite que je suis incapable de résister aux lieux communs, surtout dans les aires communes.)
Ah le bon temps révolu des garçons d,ascenseur!
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