Épisode 238

(Au lit, après une longue séance d’amour. La tête de Blondine repose contre mon sein et je passe ma main dans ses cheveux.)

Blondine — Tu n’as jamais pensé à avoir un autre enfant après Lou?

Moi — Je n’avais pas pensé avoir un enfant avant Lou, alors…

Blondine — (Relève la tête.) Es-tu en train de me dire que Lou n’était pas une enfant désirée?

Moi — Bien sûr qu’elle était désirée ! Je n’ai pas regretté une seul seconde de l’avoir eue depuis qu’elle est née.

Blondine — Ben voilà. Je me disais bien, aussi…

Moi —  Sauf que Lou a d’abord été désirée par Simone, mon ex. C’est elle qui m’a convaincue et j’ai longtemps hésité avant de dire oui. J’avais des oppositions de principes en ce qui concerne la procréation.

Blondine — (S’assoit dans le lit à côté de moi.) Ben voyons donc… Avoir un enfant, c’est la chose la plus merveilleuse qui puisse arriver dans la vie d’un être humain!

Moi — J’étais loin d’en être convaincue avant sa naissance et même si aujourd’hui je suis folle de cette gamine, je ne suis toujours pas convaincue que, rationnellement parlant et sentiments mis à part, que c’était une bonne décision.

Blondine — Je n’en reviens pas que tu puisses dire une telle chose!

Moi — Ma fille va hériter d’un monde affreux. Non, pas affreux, le mot n’est pas assez fort… elle va vivre dans un monde infernal. Elle sera témoin de la catastrophe climatique et de la chute de la civilisation telle qu’on l’a connue. C’est presque certain que sa vie sera beaucoup plus pénible que la mienne lorsqu’elle aura atteint mon âge.

Blondine — Tu ne peux pas en être sûre.

Moi — C’est s’aveugler volontairement que de croire le contraire. Le pouvoir se raidit un peu partout à travers le monde au fur et à mesure que s’accentue la crise du capitalisme et de l’État-nation – et ce n’est qu’un début, on n’a encore rien vu. La montée du populisme d’extrême-droite et du fascisme, c’est le dernier alibi de la civilisation mondialisée dont les assises se mettent à trembler et à se fissurer. Les démocraties libérales entrent dans leur phase panique et essaient de sauver les meubles : la propriété, les relations de domination hiérarchiques… institutions qui sont en pleine déliquescence, malgré les apparences. En attendant que tout s’écroule, le monde va ressembler à une immense colonie pénitentiaire. Et ça me tue de penser que Lou vivra dans un monde pareil.

Blondine — Même si tout ça est vrai, ça ne rend pas moins légitime le désir d’avoir des enfants. Il faut qu’il y ait une suite au monde!

Moi — Tu trouves ça sensé de mettre des enfants au monde sachant qui’illes vont souffrir sur une terre devenue inhospitalière, qu’illes vont subir les violences extrêmes des pouvoirs déclinants, qu’illes vont être témoin de la fin de notre monde – pour le meilleur, mais plus probablement pour le pire?

Blondine — Je ne sais pas si c’est sensé, mais c’est quand même ce que je veux faire. Genre le plus tôt possible.

Moi — Euh… quoi?

Blondine — J’allais t’en parler et t’offrir d’être coparent, mais bon, je comprends que c’est peine perdue, han. (Elle attrape l’édredon et me tourne le dos.)

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