(Un autre dimanche bourgeois en compagnie de Troy et de Pierre au café Moca Loca.)
La serveuse — Tout va bien ici? Avez-vous besoin de quelque chose?
Moi — Je prendrais un autre double expresso allongé, s’il vous plaît.
Troy — Et un chaï latté pour moi !
La serveuse — Parfait. Et vous ?
Pierre — Ça va pour moi, merci.
La serveuse — D’accord. Je reviens tout de suite.
(Silence.)
Moi — Alors comme je disais, j’ai mis à jour la carte de mon polycule.
Troy — Oh ! Lemme see !
Pierre — Euh… Hic Sunt Dracones? C’est quoi ça ?
Moi — Justement, je voulais t’en parler. C’est la limite du monde connu de ma carte. Mais comme ce n’est plus rendu à ce point mon polycule, j’ai décidé d’y mettre des bêtes fantastiques.
Troy — Cute ! Tu aurais quand même pu m’en parler, je t’aurais donné quelques infos.
Pierre — Ou mieux encore : me le demander directement, han.
Moi — Ok, alors je te le demande directement : qui se trouve aux limites de l’univers ?
Pierre — Des TAS de gens !
Troy — (Rit.) You’re such a dog, honey.
Moi — Mais encore ?
Pierre — En plus de Troy…
Moi — Ça va de soi.
Pierre — Il y aussi Josée, avec qui je vis… et Catherine, Louis, Marc, Alain… et Élise, aussi… oh, sans oublier Geneviève, Karl, Gabriel, Jacob… et Richard, évidement. Oh ! Et Lorrie… et Éric, aussi.
Troy — Plus quelques autres dont tu ne connais pas le nom…
Pierre — Connaître le nom de tous ses partenaires sexuels, c’est très surfait.
Moi — (Prenant des notes.) Et tu considères tous ces gens comme tes amoureux et amoureuses?
Pierre — J’entretiens des relations amoureuses avec chacun d’entre eux, oui. Même si elles sont brèves et espacées.
Moi — Ça doit te tenir occupé en querisse, en tout cas.
Troy — Ha! That’s what you would think, heh…
Pierre — Disons seulement que je suis toujours à l’affut de nouveauté. D’ailleurs, ça me fait penser : j’étais sur JALF l’autre jour et…
La serveuse — Double expresso allongé… et chaï latté.
Moi — Merci !
Troy — Thanks sweetie !
La serveuse — N’hésitez pas à me faire signe si vous avez besoin de quoi que ce soit !
(Silence.)
Pierre — Alors comme je disais, j’étais sur JALF l’autre jour…
Troy — Voilà une anecdote qui commence bien.
Moi — Comme une blague de Roméo Pérusse ! « L’autre fois c’t’un gars qui rentre dans un site de rencontre de cul… »
Pierre — Laissez-moi donc finir, la chute de l’anecdote est surprenante.
Troy — Nous sommes tout ouïe, chéri.
Moi — (Sur l’air de Comme tu voudras de Claude Dubois.) ♪Tout ouïe didloudidou ♫ tout ouïe didloudidou dildo ♪
Pierre — (Soupire.) J’étais donc sur JALF et je lisais les histoires érotiques publiées par les membres…
Troy — Pauvre chou ! Ça devait être tellement cringe ! Plein de fantasmes de mononcle et de fautes d’orthographe…
Pierre — Et bien non, justement. Je suis tombé sur plein de textes exquis et divinement bien écris.
Moi — Aon !
Pierre — Écrits par Anne.
Moi — Aon ?
Troy — You published your shit on JALF ? Really ?
Moi — Mais pas du tout !
Pierre — C’est une femme de l’Abitibi qui l’a fait – en ne mentionnant pas la source, évidemment. Je ne me souviens plus de son nick… c’était quelque chose comme JuicyJoan.
Troy — Johanne la juteuse ? Plutôt Johanne la voleuse !
Pierre — Vite comme ça, j’ai vu qu’elle a repris à son compte Fenêtres, Toute l’écriture est cochonnerie, Tu n’auras d’autre dieu que moi, Confession de la pornographe, Des fenêtres sous la pluie, Pr0nographe, Une journée dans la vie d’une cyber-salope et même l’avertissement de ton site web.
Troy — This is outrageous !
Pierre — Et ça ne se limite pas à tes textes érotiques. Même les descriptions de ses photos étaient piquées directement de tes Commentaires désobligeants.
Moi — Ah ben.
Pierre — (Il me tend son téléphone portable.) J’ai fait des captures d’écran. Regarde.



Moi — Hum…
Pierre — Je lui ai envoyé des messages pour lui demander d’indiquer la source de ses textes, en insistant pas très subtilement sur sa faute pour qu’elle ait un peu honte.
Moi — Ben là, non. Tu n’aurais pas dû faire ça.
Pierre — Pourquoi donc ?
Moi — Parce que j’ai un accord avec mes lectrices et mes lecteurs. (Je pointe son téléphone du doigt.) Je peux ?
Pierre — Oui.
Moi — Tiens, regarde.

Moi — Ta Joan Juteuse n’a fait que mettre en pratique ce que je lui ai enjoint de faire. Tu n’aurais pas dû lui faire la leçon.
Pierre — Ah ben I’ll be damned.
Moi — Je me fais un devoir d’être toujours gentille avec les plagiaires ; c’est une façon qui en vaut bien d’autres de faire ses gammes, d’apprendre à mettre un mot devant l’autre. Et c’est aussi une façon d’incruster, par osmose, mes œuvres dans l’inconscient collectif.
Troy — « Signez mes textes de votre nom »… isn’t this a bit excessive, darling ?
Moi — Pas du tout. C’est l’attitude la plus saine à avoir envers les idées qui dans un monde moins pourri serait à tout le monde. Comme le reste, d’ailleurs.
Pierre — Reste que cette dame s’est approprié des œuvres qui ne sont pas les siennes.
Moi — Mes idées sont rarement les miennes. Ce que j’écris sur mes innombrables blogs est le résultat de mes lectures et de ce que j’attrape dans l’air du temps ; ma seule originalité est la façon que j’adapte des idées depuis longtemps exprimées au contexte actuel. Et aussi, peut-être, un certain ton, un certain style – que je partage de toute façon avec d’autres.
Pierre — Mais c’est toi l’auteure ! Si on m’avait fait ça à moi, je serais en tabarnak!
Moi — Fut un temps où tout le monde se foutait de l’auteur, où tout le monde reprenait les œuvres en les remodelant de génération en génération, si bien que lesdites œuvres atteignaient rapidement une perfection suprahumaine.
Pierre — Pfff. C’est plus facile à dire qu’à faire.
Moi — La propriété, c’est le vol, chéri – et ça, je l’ai pompé à quelqu’un d’autre.
Troy — Je ne trouve pas ça très convaincant.
Moi — J’ai écrit un long texte là-dessus il y a fort longtemps – et j’espère bien que quelqu’un, quelque part, l’a plagié.
Pierre — Je le lirai un soir que je serai seul et tranquille à la maison.
Moi — (Rigole.) Aussi bien dire jamais !
Troy — I’m wondering… Si elle se met à vendre tes textes, j’espère pour toi que son frigo contient de la bouffe vegan, han.
Moi — Au pire, je snifferai le contenu de sa boîte de bicarbonate.
(Troy s’étouffe de rire dans son chai latté et s’en suit une rigolade qui se termine dans les hoquets et les larmes.)
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