Liam fait sa sieste et je suis à l’ordinateur en train d’écrire pour L’idiot utile sur la table de la salle à dîner de Blondine qui travaille dans la pièce d’à côté. Je l’entends marcher jusqu’à la cuisine, où elle se prend un café.
Blondine — C’est quoi, pour toi, l’amour ?
Moi — Oulala, tu les as les questions ce matin.
Blondine — Tu sais comment j’aime être le cheveu sur la soupe.
Moi — Ou le poil entre les dents.
Blondine — Ah arrête, c’est l’hiver. C’est mon pelage de mammifère qui hiberne.
Moi — Je ne me plains pas, bien au contraire. J’ai un crush sur les wookies depuis ma tendre enfance.
Blondine — Ha ha ha, très drôle. Réponds-donc à ma question, au lieu de rire de mon pwel de noune.
Moi — Ben… L’amour, c’est un sentiment qu’on éprouve. Plus spécifiquement, que j’éprouve envers toi.
Blondine — C’est tout?
Moi — Oui.
Blondine — Je pensais que tu allais me sortir quelque chose comme «L’amour est une aspiration à l’unité» ou «l’amour est la force qui met le monde en motion».
Moi — Wow. Profond.
Blondine — Merci. Mais c’est toi qui me sors ce genre de truc de hippie, d’habitude.
Moi — Merci de me traiter de hippie, tu sais à quel point j’aime ça.
Blondine — Ha ha ha !
Moi — Et puis, pourquoi mon opinion t’intéresse tant, tout à coup?
Blondine — C’est que… j’ai beaucoup pensé à notre arrangement familial. À comment on s’organise ensemble, toi, Ousmane et moi, avec Liam.
Moi — Et Brigitte.
Blondine — Oui, bien sûr, et Brigitte. Même si elle agit surtout comme une fée marraine.
Moi — Ha ! Il faudrait que tu lui dises, elle serait trop contente d’entendre ça. Je pense qu’elle exploserait de bonheur dans un nuage de paillettes multicolores.
Blondine — Bref. Je pensais à notre arrangement et puis j’ai appris ce matin que mon amie Valérie se séparait.
Moi — Celle qu’on a rencontrée au cours prénatal?
Blondine — Oui. Elle m’a dit qu’elle n’aimait plus le père de son enfant. Et là, c’est la garde partagée, la pension, le désastre financier et tout le tralala.
Moi — Où est-ce que tu veux en venir?
Blondine — Qu’est-ce qui va se passer quand tu ne m’aimeras plus?
Moi — Tu dis ça comme si c’était une certitude.
Blondine — Je ne sais pas. Tous les couples que je connais qui ont des enfants se séparent, en ce moment.
Moi — Nous ne formons pas un couple, ma chérie.
Blondine — Ça ne garantit rien, tu sais bien. Pire : c’est un risque supplémentaire.
Je me lève et prends Blondine dans mes bras.
Moi — Je n’ai été en couple qu’une seule fois dans ma vie. Avec Simone, la mère de Lou. Et tu sais pourquoi nous nous sommes séparées ?
Blondine — Parce que vous vous n’aimiez plus?
Moi — Pas du tout. Je l’aime encore autant qu’avant. Et je soupçonne qu’elle ressent la même chose. Ça m’a pris beaucoup de temps avant que ça cesse de me faire mal.
Blondine — Quoi, alors?
Moi — Nous n’arrivions pas à nous entendre sur l’organisation de la vie quotidienne. Ni sur la gestion de l’argent. Ni sur la gestion du temps passé avec notre fille. Nous n’arrêtions pas de nous engueuler et de nous réconcilier en pleurant, c’était devenu invivable. Alors nous nous sommes séparées avant de nous mettre à nous haïr.
Blondine — Si je comprends bien, tu me dis que l’amour ne suffit pas à rester ensemble et je ne trouve pas ça très rassurant.
Moi — Est-ce que tu trouves que notre arrangement familial – comme tu dis et faute de meilleurs mots – est insatisfaisant ou dysfonctionnel?
Blondine — Non, non, pas du tout. C’est sûr qu’il faut continuellement s’ajuster et que le contexte de la pandémie n’aide pas pantoute, mais je trouve que ça va bien, en fin de compte.
Moi — C’est ce que je trouve, moi aussi. Est-ce que c’est Ousmane qui t’inquiète? Il t’aime bien, tu sais – même si ce n’est pas l’amour romantique entre vous deux.
Blondine — C’est sûr qu’Ousmane m’inquiète, j’ai peur que son moral reste encore longtemps au plus bas. Mais je ne m’inquiète pas de son implication avec Liam. Il est fou de lui et s’en occupe aussi bien, sinon mieux que nous. Jamais il ne le laissera tomber, j’en suis convaincue.
Moi — Liam a plein d’adultes autour de lui qui veillent à son bien-être et à son éducation. Ça va bien aller, mon amour.
Blondine — Je sais.
Moi —C’est donc de moi que tu t’inquiètes ?
Blondine — Non, c’est juste que…
Blondine me regarde avec des yeux mouillants.
Blondine — Anne… je veux juste que tu me dises que notre amour va durer toujours.
Moi — Tu sais que je ne fais jamais ce genre de rime. Sinon, je deviendrais slammeuse ou j’écrirais des chansons pour les gagnants de Star Académie.
Blondine — (Soupire.)
Moi — Je peux te dire encore une fois que je t’aime avec passion, par contre.
Blondine — Je sais que tu m’aimes, mais pour combien de temps encore?
Moi — En ce moment, je ne vois pas comment je pourrais cesser de t’aimer.
Blondine — C’est tout?
Moi — Oui. C’est tout.
Blondine — Je vais devoir me contenter de ça, n’est-ce pas?
Moi — Hum… Je peux t’offrir une longue séance de lissage de fourrure, si ça peut t’aider.
Blondine — (Imitant Chewbacca.) WUUAHAHHHAAAAAAAAAA !