La triade est assise à une table d’un restaurant hors de prix. Avant de s’y rendre, la licorne a rasé ses jambes pour la première fois depuis avril 2020 – c’est dire à quel point l’occasion est spéciale.
Elle — SI vous saviez comme je suis contente qu’on sorte enfin à trois, mes poussins en su-sucre! Comme au bon vieux temps!
Lui — Cinq ans de vie de triade, il fallait bien fêter ça.
Moi — (Soupire.) Pendant que la covid nous le permet encore.
Elle — Toujours aussi optimiste, mon poussin grognon, n’est-ce pas?
Moi — Bien sûr. C’est un memento mori, en quelque sorte ; le repas aura d’autant plus de saveur sachant que c’est peut-être le dernier qu’on pourra savourer en amoureuse compagnie avant un temps.
Elle — « Mes mentos au riz » ? C’est quoi ça ?
Moi — Un bonbon japonais qui peut transformer une bouteille de coke diète en fontaine brune.
Lui — Ne l’écoute pas, elle te niaise, encore.
Elle — Je sais bien, poussin nigaud. Je voulais juste voir quelle allait être sa répartie.
Moi — Quelle note me donnes-tu ?
Elle — Quatre étoiles, très habile avec la langue.
Moi — Aon !
Lui — En attendant qu’on nous apporte nos plats, j’ai quelque chose pour vous deux. (Il sort de sa veste deux petites boîtes enveloppées de papier doré.)
Elle — Un cadeau de cinquième anniversaire de non-mariage !
Moi — (Bafouille.) Tu n’aurais pas dû… moi je ne vous si rien acheté…
Lui — Chacune selon ses besoins, chacun selon ses capacités, non?
Elle — (En ouvrant la boîte.) Oh maille gode ! Poussin dément ! Il est magnifique !
Lui — Attend, je vais t’aider à le mettre. (Il se lève et lui attache le rang de perles derrière la nuque.)
Elle — Je me sens comme Audrey Hepburn ! Tu as dû te ruiner !
Lui — Remercions mon syndicat pour la paie rétroactive qui l’a financé.
Elle — Et toi, poussin estomaqué, qu’est-ce que tu as reçu ?
Moi — Je… je ne peux pas accepter ça.
Lui — Je sais que tu n’es pas fan de colliers, alors je suis allé avec les boucles d’oreilles…
Moi — Ça doit valoir deux mois de loyer, si ce n’est pas plus…
Elle — Laisse-toi donc gâter, pour une fois.
Lui — Je t’aurais donné plus, si j’avais pu.
Moi — Je ne sais pas quoi dire.
Lui — Juste m’embrasser sera amplement suffisant, si tu as envie de le faire, évidemment.
Moi — Et comment ! (Je l’embrasse.)
Elle — Trinquons à cinq ans de bonheur, mes lapins en nougat !
Lui — À cinq autres années d’amour !
Moi — Que nous puissions danser à trois jusqu’à la fin des temps !
Lui — Wow. Je me trouvais optimiste avec mes cinq années.
Moi — Attend de savoir à quand je prévois la fin des temps avant de me traiter d’optimiste, chéri.
Elle — En autant que ce ne soit pas dans un mois, parce que moi aussi j’ai un cadeau pour vous. (Elle sort son téléphone de son sac à main.) Regardez ce que j’ai loué pour un week-end !
Lui — Nice !
Elle — Avec spa… cinq chambres… une table de billard sur laquelle se faire baiser…
Moi — Cinq chambres ?
Elle — Oui ma belette étonnée ! J’ai invité tout le polycule : Blondine, Ousmane, Troy et Pierre, Maël et Bill, Roxane… j’ai même demandé à ta mère de garder Liam et elle a accepté !
Moi — Tu aurais dû m’en parler plus tôt! Je travaille probablement au donjon ce week-end-là.
Elle — Aucune chance. Marlène et Simone vont nous rejoindre samedi.
Moi — Et toi, ça ne te torturera pas trop de revoir Troy ?
Lui — Je me suis fait une raison et nous nous sommes promis de rester amis. Ce sera l’occasion de mettre cette promesse à l’épreuve. Et toi, tu vas arriver à tolérer Roxane ?
Moi — (Après avoir pris une gorgée de champagne.) Probablement pas, mais c’est tout le charme de notre relation, après tout.
Elle — Alors c’est oui ?
Moi — Évidemment que c’est oui.
Lui — Yes ! Vous allez voir, je suis imbattable au billard.
(Elle et lui se taisent soudainement et me regardent comme s’iels attendaient quelque chose.)
Moi — Quoi ?
Elle — Dis-le !
Moi — Dis-le quoi ?
Lui — Ton jeu de mots atroce de billard avec «boules», «queues» et «poches» !
Moi — Pfff. Je ne gâcherais jamais une soirée aussi parfaite avec une telle vulgarité.
Elle — Vivement notre week-end avec Roxane, dans ce cas.
Lui — Oui, il est vraiment temps de retrouver un peu de vulgarité dans ce feuilleton.