Moi — Ce serait agréable de commencer à se voir ailleurs qu’à la piscine. Qu’est-ce que tu en dis?
Ousmane — J’ai une petite vie de célibataire parfaitement rangée et ennuyante, alors j’ai tout le temps du monde à te consacrer.
Moi — Moi, c’est le contraire, en quelque sorte. Je mène une vie dissolue de mère célibataire qui a plus d’amoureux et d’amoureuses que de pages dans son agenda… Je vais devoir réarranger mon emploi du temps pour pouvoir passer un max de temps avec toi.
Ousmane — En ce qui me concerne, je peux très bien m’accommoder à ton horaire. Si on oublie les heures que je passe au boulot, il n’y a que la prière du vendredi que je ne peux pas déplacer.
Moi — C’est vrai, tu m’avais mentionné à notre première rencontre que tu es musulman.
Ousmane — Ça m’a surpris que tu n’en fasses pas plus de cas.
Moi — Ah oui ? Et pourquoi donc ?
Ousmane — Parce que… disons que les musulmans n’ont pas bonne presse ne ce moment.
Moi — Disons que j’évite de me frotter aux types qui font mauvaise presse aux musulmans.
Ousmane — Mais toi… tu es bel et bien athée, non ? Ça ne te rend pas inconfortable de te retrouver en amour avec un homme comme moi ?
Moi — Je me suis dit qu’un musulman qui se qualifie de panromantique et qui a déjà flirté avec l’amoureux de mon chum ne risque pas d’être membre de Daesh.
Ousmane — Ha ha ha ! Non, il n’y a pas de danger en effet.
Moi — Et puis… ma blonde est une lesbienne catholique qui aime se faire donner la fessée comme une élève des Ursulines, alors je me dis que d’avoir un amoureux musulman est probablement moins incongru.
Ousmane — Elle est très croyante ?
Moi — Très croyante… probablement pas. Je pense qu’elle est catholique par habitude… parce que c’est ce qu’on lui a transmis dans sa famille. Elle aime bien aller à la messe de minuit à Noël pour des raisons sentimentales, mais autrement, elle pratique beaucoup plus le cunnilingus que la communion. Et toi, es-tu pratiquant ?
Ousmane — Oui. Un musulman non-pratiquant, c’est comme… un non-sens.
Moi — Ah ?
Ousmane — Tu connais les cinq piliers ?
Moi — Oui. L’attestation de foi… la prière… l’aumône… le jeûne… et quoi d’autre ?
Ousmane — Le pèlerinage à La Mecque – que je ferai peut-être un jour, qui sait.
Moi — Est-ce à dire que tu pratiques tout ça ?
Ousmane — Avec plus ou moins de rigueur. Au Sénégal, où j’ai grandi, j’ai appris comme tout musulman les sourates et les prières pendant mes années d’école coranique. Mes parents étaient très pieux, mais ils ne m’ont pas obligé à finir ces études. À dix-neuf ans, j’ai réalisé que certaines personnes pouvaient tenir de beaux discours tout en adoptant un comportement radicalement opposé. J’ai alors rejeté beaucoup des signes extérieurs de l’islam, mais pas l’islam lui-même. Je vais à la mosquée le vendredi, mais je ne respecte pas les interdits alimentaires et il m’arrive de boire de l’alcool. Je fais le ramadan, mais rarement les cinq prières quotidiennes : je prie quand je me lève, quand je quitte mon appartement, le soir aussi.
Moi — Et ça suffit pour être musulman ?
Ousmane — Certains diraient que j’en suis un mauvais, mais franchement, je m’en fous. Croire en Dieu m’aide. J’ai besoin d’une force supérieure pour m’orienter, pour me faire avancer dans la vie. L’islam demande d’être clair avec soi-même, avec les autres et avec Dieu : j’essaie de m’y employer. D’un autre côté, les passages homophobes et sexistes des sourates ne m’intéressent pas ; je ne vois pas pourquoi je serais obligé de les adopter comme des vérités éternelles. Je ne dis pas que c’est la voie la plus juste, mais c’est ma façon de vivre ma religion.
Moi — Ta religion te permet-elle d’aimer une athée débauchée, invertie, anarchiste et pratiquante stricte du mauvais calembour ?
Ousmane — Je crois qu’il n’y a que le mauvais calembour qui mène à l’enfer !
Moi — Après notre mort, tu me regarderas de là-haut et je t’en enverrai des tas de bisous entre deux séances de BDSM avec Satan.