La serveuse — Vous voulez un café au lait ?
Moi — Non. Un expresso double allongé.
La serveuse — D’accord. Tout de suite.
(Les bras croisés, je dévisage Troy pendant un long moment.)
Troy — Quoi ?
Moi — Quand est-ce que tu vas te décider de me l’annoncer ?
Troy — Je ne vois pas de quoi tu parles.
Moi — Mère courage m’a raconté au sujet de ton nouvel amoureux.
Troy — Les nouvelles vont vite…
Moi — Celle-ci a traversé le polycule en moins de temps qu’il ne le faut pour crier « potin ! ».
Troy — J’aurais dû m’en douter.
Moi — Voui ! Il s’appelle Pierre, n’est-ce pas ?
Troy — Oui.
Moi — Et c’est un homme d’expérience…
Troy — On peut dire ça, en effet. Il a quinze ans de plus que moi.
Moi — Un ancêtre, quoi.
Troy — Forty eight is the new twenty eight, as I been told.
Moi — Il est cute ?
Troy — Très – dans le style daddy bear. Regarde. (Il me tend son téléphone.)
Moi — Aon ! Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Troy — Sur Grindr, tout bêtement. On cherchait un simple hookup tous les deux… et là, ça fait trois semaines qu’on se voit presque chaque jour. Faut croire que la route vers le cœur passe par les organes génitaux.
Moi — C’est romantique en querisse.
Troy — N’est-ce pas ?
Moi — Quand est-ce que tu nous le présente ?
Troy — Bientôt. Je lui ai parlé de toi et il a vraiment envie de te rencontrer.
Moi — Moi ?
Troy — Il est un de tes lecteurs… et de tes nombreux admirateurs.
Moi — Aie. Tu connais ma politique envers mon lectorat…
Troy — Oui, mais je connais aussi ta politique envers les membres de ton polycule.
Moi — Et mat.
Troy — Surtout que c’est en quelque sorte un collègue. Il écrit pas mal de porn gay pour son tiroir… Tiens, il m’a imprimé quelque chose de lui… (Il fouille dans son sac.) Ça s’intitule Lieux de débauche familiers. C’est en quelque sort une psycho-géographie de sa sexualité. Ça fait le tour de bien des spots de rencontres clandestines gay dans la région depuis le début des années deux mille…
Moi — Aon !
Troy — Je t’en lis des bouts ?
Moi — VOUI !
Troy — Ok. Ça commence comme ça : « La nuit, vous pouvez vous garer tout l’été dans le second parking du parc Jacques Cartier. Vous y verrez des types se branlant dans leur voiture ou dans le boisé près de la rivière. On n’a qu’à se pencher pour cueillir et déguster ces champignons rougeâtres qui font le bonheur des amateurs. »
Moi — Hu hu hu !
Troy —La suivante est très nostalgique : « On s’amusait ferme dans les toilettes pour hommes du Zellers avant qu’ils ne scellent les glory holes de fortune avec des plaques de d’acier galvanisé. Maintenant, c’est un peu plus difficile, car il faut faire preuve d’un peu plus d’astuce. Il y a trois cabines à droite, près de la porte, et juste à côté, deux urinoirs. Assis sur la cuvette, on peut voir le reflet de son voisin sur les tuiles du mur et ainsi constater s’il se branle ou non. Il s’agit alors de faire de même et en route pour Cythère. Certes, le gardien de sécurité fait parfois irruption pour surprendre les étreintes viriles et faire arrêter les queutards, mais le risque n’est-il pas le sel de l’existence ? »
Moi — Ce Zellers est devenu un Walmart, non ?
Troy — Oui et je doute qu’on s’y amuse autant.
Moi — Ouais. On y brasse maintenant des affaires plutôt que d’y brasser de grosses affaires.
Troy — Ha. Ha. Ha. Elle était facile, celle-là. Voici la suite : « Il y a aussi ce car wash ouvert 24/7 sur la rue Johnson — quel nom prédestiné! Le jour, les gentils banlieusards viennent en famille faire reluire leur Buick pour quelques dollars ou encore déguster une délicieuse poutine vendue au stand à patates. Mais la nuit, il fait bon de se garer près des aspirateurs et y attendre des volontaires prêts à offrir un peu de succion. Parfois, des jeunes apaches s’assoient sur la table à pique-nique, la braguette gonflée de sève comme un fruit mûr, et n’attendent qu’un appel de phares pour venir vous rejoindre — mais la plupart du temps, il s’agit de mecs mariés dans la trentaine ou la quarantaine venus s’encanailler avant de rejoindre au lit leur légitime et ronflante épouse. Vous pourrez alors piquer vers le boisé attenant et goûter au plaisir vif des intromissions priapiques nocturnes. »
Moi — La chute est aussi poétique que bucolique.
Troy — Parlant de bucolique… écoute ça : « Si le lac Meech rappelle de douloureux souvenirs à certains Québécois, c’est qu’ils n’ont jamais arpenté, par une journée de canicule, le sentier près de la plage O’Brian qui s’enfonce dans le bois. Le parcours est semé d’embûches, mais on oublie nos pieds meurtris à la vue des corps nus lézardant sur les pierres. Il faut hélas être ciselé comme une statue de marbre pour avoir le privilège de se frotter à ces peaux alanguies, mais rien n’empêche de tomber le maillot et s’astiquer le manche en contemplant deux spécimens splendides s’adonner à un soixante-neuf exquis sous le soleil implacable de midi. »
Moi — (Soupire.) J’ai hâte à l’été.
Troy — Tu n’es pas la seule, visiblement : « En juillet, on peut souvent croiser vers minuit au parc Lucerne — juste à côté du Walmart — un jeunot du voisinage aime attendre dans un buisson et vider les couilles de qui le veut bien. Il n’a que vingt ans et a déjà trois étés de stupre à son actif; il est donc de bon aloi de faire un détour et aller l’encourager dans sa démarche de croissance personnelle. »
Moi — Alors là, ça, c’est malaisant.
Troy — Selon Pierre, c’est rigoureusement. Comme cette anecdote : « Près du pont, où le rugissement des rapides de la Gatineau couvre les râles des mâles en rut, on rencontre dès la fonte des neiges des types un peu louches qui aiment fumer, le dos contre le mur de pierre couvert de graffitis et la bite nonchalamment sortie de leur short. Les présentations sont prestement faites et il est possible de s’embrocher vigoureusement à l’abri des regards des promeneurs du dimanche qui un peu plus haut, filent à vive allure vers Cantley à bord de leur pickup modifié en écoutant du country. »
Moi — Heee Ha ! Tu m’en lis une dernière ?
Troy — Ok. « Il ne faut surtout pas oublier le One in Ten, sur rue Bank. Pour la modique somme de neuf malheureux dollars, un staff member vous ouvre la porte du backroom rempli de staffs et de members. On y projette des films mettant en scène des adonis s’entubant avec acharnement pendant que dans la salle, ces messieurs se polissent l’outil en zieutant la clientèle. Lorsque les regards se croisent et se plaisent, il est possible de se rendre dans une cabine pour forniquer à deux ou à trois dans l’intimité. Ou alors, on peut profiter des cabines pour sucer les verges tendues que l’on nous tend à travers les glory holes et ainsi s’offrir un masque de foutre qui craquera en séchant sur les joues. »
Moi — Ok, il faut absolument qu’il vienne au demi-sous-sol nous faire la lecture de ses fonds de tiroirs.
Troy — It’s a date, sweetie. Qui sait, ça deviendra peut-être un autre de ses lieux de débauches familiers…
on se rapproche du parlement…..
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